La sexualité de l’oursin

C’est l’un des rares animaux dont on ne mange que les organes sexuels. Un acte hautement érotique, mais de plus en plus dévoyé. Nous vivons une époque obscène, et nous trouvons ça formidable.

Lorsque Pierre Gagnaire décrit la saveur des oursins, il s’enflamme : « Elle est d’une complexité inouïe, à la fois amère et sucrée, radicalement marine et légèrement fumée, avec des goûts de noisette, de miel et même de sang ! La texture est crémeuse et fugace. C’est une sensation extrême, presque sexuelle. » Pourquoi « presque » ? Manger de l’oursin est littéralement un acte sexuel. De ce petit échinoderme piquant, on ne garde que les gonades. On se délecte de tout ce qui fait la sexualité de cet animal, et on bazarde le reste.

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Pierre-Emmanuel Durand ouvre ses oursins pour les clients qui souhaitent déguster sur place.

L’érotisme barbare de la préparation
On l’ouvre par la bouche avec une paire de ciseaux, et on le décalotte comme un œuf à la coque. On le vide ensuite de tout ou presque, pour ne garder que les cinq précieuses langues, rouges pour les femelles, jaunes pour les mâles, qui libèrent progressivement toutes leurs saveurs douces mais corsées, puissantes, sauvages. Parfois, le goût est presque trop intense. Si l’on est capable d’avaler des douzaines d’oursins d’affilée, le diagnostic est clair : on a les papilles niquées.

Pour le manger, il faut aller vite, car l’oursin doit être vivant. On a environ 2 jours après la pêche. Il doit aussi toujours rester au frais, sinon il « fond » : il se répand en crème rouge pour les femelles, tandis que les mâles sécrètent une abondante laitance blanche. Quoi de plus sexuel ?

Malgré son érotisme explicite, l’oursin passe pour un fruit de mer comme les autres. On expose et pille sa délicieuse intimité, oubliant l’obscénité de notre geste. Peut-être que les oursinades y sont pour quelque chose. Ces orgies échinodermiques ont lieu en hiver et au début du printemps, principalement dans le Var et les Bouches-du-Rhône. À Carry-le-Rouet, c’est par centaines de douzaines qu’ils sont prélevés et engloutis à chaque fois, et certains mois, l’événement est hebdomadaire.

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Pierre-Emmanuel Durand, oursinier de Golfe-Juan au travail – © 180°C – Photographie Camille Oger

Une saison écourtée
Le résultat, c’est une raréfaction de la ressource. Normalement, la taille minimale du test doit être de 5 cm. Mais dans l’étang de Thau, exception à la règle, 3 cm suffisent. Ce sont de jeunes oursins vierges qui sont bouffés – difficile de parler de dégustation à cette échelle – pas forcément bons, pas forcément vivants.

Croissance lente
On mange, sans penser aux trois ans qu’il faut aux oursins pour arriver à maturité sexuelle, sans penser aux types qui passent des heures dans l’eau froide pour les pêcher en apnée, les mains hérissées de piquants, malgré leurs gants et leur expertise. D’ailleurs, les oursiniers commencent à voir l’effet de la surpêche.

La saison de l’oursin, c’est ni avant, ni après, mais pendant
C’est pourquoi ils vont demander au comité régional de repousser le début de la saison : au lieu de commencer le 1er novembre, ils souhaitent attendre le 1er décembre. Comme chaque année, le temps des oursins se terminera le 15 avril. On arrive à la fin de la saison 2017 dans quelques jours, et la plupart des oursiniers des Alpes Maritimes ont déjà cessé de pêcher. D’autres partiront en mer une dernière fois ce weekend pour ramasser ces étranges boules d’épines dont les organes sexuels sont si bons.

La sexualité de l'oursin

 

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