Coques en stock !

Sur la piste du petit coquillage blanc avec « Grégo », pêcheur à pied de son état, dans la baie des Veys, l’un des plus gros gisements de coques de Normandie.

Pour certains, c’est un loisir du dimanche, pour d’autres un métier. Quand les amateurs remisent seaux, épuisettes et cirés au garage avant la prochaine grande marée, d’autres descendent sur l’estran tous les jours ou presque, qu’il pleuve, vente ou « soleille ». Profession : pêcheur à pied. Ce boulot-là est méconnu du grand public et, pourtant, sur nos côtes, ils sont nombreux à le pratiquer et en vivre. En Normandie, le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins en recense près de 400, tous titulaires d’un permis national et d’une licence régionale qui donne le droit de pêcher telle ou telle espèce. Cap sur la Baie des Veys, à la limite du Cotentin et du Bessin, entre Manche et Calvados. Grégory Mesnil dit « Grégo » file vers Géfosse, sur la côte est de la baie, à bord de son camion vintage bleu et blanc. Trente ans que le bonhomme arpente en tous sens les estrans de la région pour récolter des coquillages et les revendre ensuite. À deux pas des plages du Débarquement, l’itinéraire traverse un paysage sans relief affirmé, mosaïque bocagère composée de pâturages et de marais. La route finit en cul-de-sac à l’approche de la mer.

Coques en stock !
Un petit râteau, appelé gaffe pour débusquer le précieux coquillage , un seau et le tamis ou « vannette », mais aussi le vieux vélo sur lequel on chargera jusqu’à 120 kg, les outils indispensables du pêcheur à pied – © 180°C – Photographie Éric Fénot

Une activité rude
Là, « Grégo » a ses yeux bleus délavés qui brillent quand il retrouve ses compagnons dont son frère Pascal, prêts à partir à l’assaut d’un des plus importants gisements de coques de la région. La mer a commencé à baisser. Pas de temps à perdre. Tout le monde s’équipe, enfile bonnet, waders et autres combinaisons pour se protéger du froid, du vent et de l’humidité. Il ne s’agit pas non plus d’oublier son matériel : chacun son petit râteau, appelé gaffe pour débusquer le coquillage fouisseur de la famille des veneridae, son seau, son tamis ou « vannette » et ses sacs encore vides de coquillages pour l’instant. À l’arrière du tracteur sans âge de Pascal sont aussi accrochés des vieux vélos…

Une fois la pêche terminée, plutôt que de les jeter sur leur dos, les gars posent les sacs pleins de coques dessus pour les rapporter vers le tracteur : « c’est pratique, on met 120 kilos là-dessus », explique  Grégo.

Tout ce petit monde est prêt et grimpe sur la remorque des tracteurs pour gagner le lieu de pêche.

De leur côté, les ostréiculteurs s’affairent autour des tables de leurs concessions pour retourner les poches d’huîtres. Après dix minutes de trajet sur l’immense estran, on descend du tracteur et on embarque sur un bateau à moteur pour passer une filière qu’il serait suicidaire de franchir à pied tant le courant est fort. « Grégo » raconte qu’à la suite d’une chute, son matériel fut emporté. Plusieurs dizaines de pêcheurs à pied sont déjà à l’ouvrage. « Grégo » et ses copains s’y mettent, l’échine courbée vers le sable.

Le vent souffle, la mer est verte, grise, le ciel bien vivant, parcouru de gros nuages clairs ou plus sombres, dont certains laissent échapper des grains aussi fugaces que violents. « Quand il fait beau, on prend tout notre temps, quand il fait ce temps-là, on n’a pas envie de trop traîner dans les parages », dit Grégo. Sur le tracteur, ça rigolait ! Là, plus un mot, car le travail est rude. Le silence est juste rompu par le bruit des gaffes qui rentrent dans le sol au fil de l’eau et celui des vannettes que les pêcheurs bougent en un va-et-vient énergique pour en évacuer le sable et les coquillages trop petits pour être prélevés à leur milieu.

Coques en stock !

Une pêche réglementée donc durable
On l’ignore trop souvent mais, quelque soit l’espèce recherchée, la pêche à pied répond à une réglementation précise et exigeante qui contraint les pros comme les amateurs : l’objectif principal est la préservation de la ressource pour favoriser une pêche durable et la pérennité de l’activité. Définition de zones de pêche – et contrôle sanitaire bien sûr-, ouverture et fermeture alternatives des différents gisements, interdiction de pêche durant une certaine période de l’année, taille minimale des coquillages en-deçà de laquelle il n’est pas autorisé de les pêcher, mise en place de quotas – logiquement plus élevés pour les professionnels – , les mesures sont multiples. Les fameux quotas ne sont pas décidés au petit bonheur la chance mais par une commission spécialisée, composée notamment de pêcheurs, en fonction du potentiel de chaque gisement, Géfosse, Utah Beach ou encore Brévands, à une période donnée.

Pour les pêcheurs, régulièrement contrôlés sur le terrain par les gardes jurés – employés par le comité régional des pêches – et les Affaires maritimes, il ne s’agit pas de jouer avec le feu et de les dépasser au risque de se voir infliger des amendes sévères voire une mise à pied plus ou moins longue qui les prive de leur gagne-pain. En nous montrant une coque encore trop petite pour être ramassée, Grégo nous précise :

Là, sur Géfosse, notre quota est fixé à 64 kg de coques par personne et par marée, et chaque coque doit mesurer au minimum 27 mm de diamètre.

Une fois son seau rempli, il le vide dans un sac puis se remet à gratter jusqu’à atteindre le quota. « En fonction de l’état du gisement, on peut le faire en une demi-heure ou en beaucoup plus longtemps… Et trois heures à gratter, ça tire ». Les sacs pleins sont juchés sur les vélos que chaque pêcheur pousse jusqu’au tracteur. Ils sont ensuite hissés sur la remorque où, sur une petite balance, ils sont pesés pour bien vérifier que leur poids reste dans la limite permise. Tout le monde remonte sur la remorque du tracteur, lestée par quelques centaines de kilos de coquillages, pour retourner au camp de base.

Coques en stock !
Le quota est fixé à 64 kg de coques par personne et par marée, et chaque coque doit mesurer au minimum 27 mm de diamètre. Trop petite, cette coque sera rejetée à l’eau – © 180°C – Photographie Éric Fénot

Le labeur du jour est terminé, les langues se délient à nouveau pour un débriefing improvisé et pour évoquer le rendez-vous du lendemain, toujours fixé par rapport à l’heure de la marée basse et à son coefficient. L’un des comparses de « Grégo » file aux urgences : la piqûre d’une vive fait gonfler sa main. La baie des Veys continue de se vider de son eau, change de physionomie au fil de la marée descendante, laissant émerger des bancs de sable de plus en plus étendus. L’estran retrouve son calme aussi, provisoirement abandonné par ses pêcheurs qui le connaissent le mieux.

Coques, mais aussi palourdes et salicorne dans la besace de « Grégo »
« Grégo » est content : ses coques se révèlent d’un calibre généreux. Comme d’habitude, il va les livrer à Jean-Paul Guernier, « Monsieur Jean-Paul », par ailleurs ostréiculteur dans le Cotentin, très réputé pour ses fameuses huîtres Utah Beach. Ce dernier va les plonger dans un bassin de purification rempli d’eau stérile pendant 48 heures – étape nécessaire pour « nettoyer » ces coquillages fouisseurs – avant de fournir quelques-uns de ses clients très exigeants comme Terroirs d’avenir, sourceur de première qui approvisionne une foule d’excellentes tables en produits issus de l’agriculture paysanne et de la pêche artisanale.

Les coques de « Grégo » vont donc nourrir des restaurants plus que soucieux de leurs approvisionnements. Ses palourdes aussi. Car Grégo n’est pas « mono-coques ».

Sur la côte ouest du Cotentin, du côté de Blainville-sur-mer, Agon-Coutainville et Gouville, il va aussi traquer ce coquillage de temps en temps même s’il privilégie la pêche aux coques : certes la palourde est vendue plus chère, mais elle est aussi plus rare et ses quotas logiquement moins hauts, autour de 15 kg. « La ressource est moins importante que sur la coque et tu passes encore plus de temps à la pêche. Malgré le prix plus élevé, au final, c’est moins rentable », explique Grégo qui en profite pour soulever un autre problème, celui de la concurrence des « pêcheurs plaisanciers », autrement dit des pêcheurs de loisirs : « en général, ils respectent les quotas mais, bien souvent, on en voit qui ramassent des coquillages bien trop petits, qui n’ont pas encore atteint la taille requise »…

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En juin, juillet voire en août, « Grégo » consacre aussi une partie de son temps à la récolte de la salicorne, vers Agon-Coutainville ou dans la baie du Mont Saint-Michel. Contrairement à ce que certains pensent, la salicorne n’est pas une algue mais une plante halophyte qui, par définition, apprécie les milieux salés. Jusqu’à l’an dernier, il vendait sa cueillette à un mareyeur, mais il a décidé cette année de s’équiper d’un petit labo pour la mettre en bocaux lui-même. Avec son croquant et son goût à mi-chemin du végétal et du iodé, la salicorne fait merveille pour accompagner des poissons et, pourquoi pas, agrémenter une salade de coques… Les coques, « Grégo » est loin d’en manger tous les jours mais il adore le porc aux coques de son épouse, comme une réinterprétation du délicieux porc alentejana portugais.

Un reportage de Philippe Toinard (textes) et Éric Fénot (photographie) pour le magazine Fou de cuisine

 

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Grégory Mesnil
Le Rotz
50620 – Graignes-Mesnil-Angot
Tél. : 06 79 62 24 73
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