Cyril Attrazic, le goût de l’Aubrac

C’est au Nord de la Lozère, le long de l’A75, à mi-chemin entre Clermont-Ferrand et Montpellier, qu’est installé Cyril Attrazic. À Aumont-Aubrac, le chef mène de main de maître le restaurant appelé « Chez Camillou », en mémoire de son arrière-grand-mère. Il y décline une cuisine identitaire, imprégnée par les saveurs des productions locales qu’il tient à faire redécouvrir.
Cyril Attrazic, le goût de l’Aubrac

 

En 2020, « Chez Camillou » fêtera ses 92 années d’existence. Cyril Attrazic incarne la quatrième génération d’une famille vouée à l’accueil de clients de passage comme d’un nombre croissant d’habitués de la région ou d’ailleurs. Sa grand-mère, qui souhaitait « vieillir au milieu de ses petits-enfants », eut un jour le bon sens de faire construire deux bâtiments. L’hôtel fut légué au cousin et le restaurant transmis à Cyril. Passé par les brigades de Gérard Vié, autrefois 2 étoiles Michelin à Versailles, d’Alain Ducasse, au 59 de l’avenue Poincaré à Paris, le Chef de 46 ans s’est frotté aux meilleurs. Il en a gardé un attachement viscéral à la qualité des produits utilisés en cuisine.

La connexion au terroir
Cependant, l’appel du terroir occitan vient d’ailleurs. L’anecdote mérite qu’on la raconte.
Cyril Attrazic et sa femme Karine, passionnés de gastronomie, aiment rendre visite à d’autres chefs et fréquenter les restaurants gastronomiques durant leurs moments libres. Un beau jour, ils décident de découvrir la cuisine renommée du voisin Michel Bras. À la suite d’un repas mémorable, ils font la connaissance des propriétaires des lieux. Le courant passe entre les deux couples. « Il faudra qu’on vienne manger chez vous ! » lance alors Madame Bras qui tend presqu’aussitôt un papier sur lequel est inscrite une date. Flatté, surpris et inquiet tout à la fois, Cyril prend la réservation.

Quelques jours plus tard, il reçoit anxieux les Bras à sa table d’Aumont-Aubrac. A la fin du repas, le célèbre 3 étoiles Michelin le convie amicalement à participer à quelques services dans son restaurant pour « voir comment ça se passe ». Il convient de remettre les choses dans leur contexte. A la fin des années 90, on traversait la planète pour gagner la chance de déguster le « gargouillou de légumes » et saluer Michel Bras. L’honneur était immense.

La révélation du terroir eut lieu naturellement, à Laguiole. Cyril raconte : « Quand je suis entré dans la cuisine et que j’ai vu les produits, j’ai tout de suite compris la philosophie. Monsieur Bras avait deux générations d’avance sur tout le monde. Pour avoir une aura, il tenait un propos identitaire, centré sur son territoire, il était sorti des aliments qui ne racontaient pas d’histoire. J’ai saisi la connexion, j’avais tout à disposition devant ma porte pour développer ma propre cuisine et susciter de l’intérêt.»

La cuisine de l’Aubrac
Aujourd’hui, quand Cyril Attrazic met au point une nouvelle recette, son inspiration nait systématiquement du produit. Il apprécie particulièrement le céleri, légume tardif emblématique de sa région, racine qui s’épanouit avec le gel des fins d‘automne. Il en fait des nouilles longues et croquantes, baignées d’un jus explosif de truffes noires ou de cèpes, selon les mois. Il vénère le bœuf de race Aubrac, que ses cousins élèvent dans de petites exploitations. Il l’achète entier, sur pied, le cuit en le fumant au Big Green Egg et ne sert que les morceaux prêts au moment propice, rassis à point. Il les escorte d’un savoureux beurre de pomme de terre et d’aligot maison. Quintessence gourmande du bœuf, le guide Michelin 2020 qualifiera sa création carnée d’« hymne à l’Aubrac ». A la rédaction de 180°C, on ne dit pas mieux. Outre les pièces nobles, pour valoriser l’ensemble d’une bête, Cyril tient aussi à cuisiner les abats. Il n’hésite pas, par exemple, à marier les ravioles d’écrevisses à un fin ragoût de tripettes de veau, pour un plat canaille haut en couleurs. Enfin juste au sud, la Méditerranée lui fournit de beaux poissons et l’huître de Bouzigues, qu’il flanque de laitue, d’épinards et d’une purée de pois blonds de la Planèze voisine.

La quête du goût
Il l’admet volontiers, le dessein locavore n’est pas une fin en soi. Il faut d’abord faire bon. « Mes plus grands souvenirs de plats passent par le goût », résume-t-il. Évident ? Pas si sûr, au vu de ce que produisent certains amateurs d’esbroufe ou autres prouesses techniques dans leurs restaurants. Au contraire, Cyril Attrazic cherche à simplifier sa cuisine, limiter le nombre d’ingrédients, réduire les accords aux notes indispensables. Cette assiette de 7 légumes d’hiver issus de « petits paysans dissimulés », cuits au sel chacun séparément, et liés par une sauce oxydative à base de « vin blanc d’un copain », illustre parfaitement la vision et le savoir-faire du chef. Donner la priorité à la gourmandise, mettre en exergue l’accord parfait, sans fioriture. « Il faut qu’il se passe quelque chose en bouche, que ce soit une évidence, que cela reste en mémoire…».

Cyril continue : « D’ailleurs, quand on crée une recette, je me fiche du visuel ou du dressage. Au début, je ne regarde pas. Pendant la dégustation, je ferme toujours les yeux ».

Aux confins des villages gris et des hauts plateaux, alors que nous étions partis traquer ce goût vrai d’Aubrac en un froid jour de Décembre, la conclusion s’imposa d’elle-même. Nous reviendrons en adoptant l’attitude du Chef quand il met au point un nouveau plat. Les yeux fermés.

Cyril Attrazic, le goût de l’Aubrac

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Au menu : portraits et recettes de 10 chefs engagés dans une gastronomie responsable.

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