Face au COVID 19, Thomas fait le Boullault

Comment fait un restaurateur parisien pour s’en sortir face à l’épidémie qui secoue la planète et impose la fermeture de son affaire ? Depuis 2 ans, nous suivons le quotidien de Thomas Boullault, chef étoilé discret et bosseur, entre la mise en place de son jardin et l’évolution forcée de son métier, qui le pousse à lancer la vente de petits plats à emporter. Récit.

Janvier 2019
En plein soulèvement des gilets jaunes, Thomas Boullault doit plusieurs fois baisser le rideau de l’Arôme, le restaurant parisien étoilé dont il est Chef, et dirigé par Eric Martins. Quand on se situe à 200 mètres des Champs-Elysées, on a certes une belle clientèle le midi, mais il convient de prendre garde aux casseurs. Le chiffre d’affaires baisse mais l’Arôme, finalement, encaisse le choc.

Au même moment, Thomas échange avec David Abramczyk qui le fournit en herbes fraîches. Le producteur lui annonce que 13 hectares de terrain sont mis en vente à Douchy dans le Loiret. De belles serres en verre à l’ancienne peuplent l’endroit.
« Tu ne voudrais pas y faire des légumes ? » demande Thomas, avant de poursuivre. « Tu sais que je suis très ami avec Joël Thiébault ? Je l’ai connu quand j’étais second au Royal Monceau. Depuis qu’il est en retraite, il a l’air de s’emmerder… On pourrait peut-être lui proposer de faire un jardin ? Je rêve d’avoir un potager, t’imagines les trucs de fou qu’on pourrait produire avec tes équipes et Joël ? »

La proposition paraît sérieuse. Joël Thiébault, à Paris, c’est un peu le pape du légume. Enracinée à Carrières-sur-Seine, sa famille cultive et vend sur les marchés parisiens depuis 1873. Quand Joël reprend l’exploitation de ses parents, il la développe avec passion jusqu’à bichonner plus de 1500 variétés végétales. Il introduit en France des espèces asiatiques jusqu’alors inconnues des cuisiniers. On lui doit de nombreuses couleurs et saveurs nouvelles dans les assiettes. Pierre Gagnaire, Eric Fréchon, Julien Dumas, Hélène Darroze ou encore Thomas comptent parmi ses fidèles.

Quelques semaines plus tard, le projet voit le jour. Douchy s’éveille, en bio et en aquaponie. Désormais les petites rattes nouvelles, les mini fenouils, des chou rave de compét’, des tomates anciennes et des pois gourmands de concours sortent de terre à une heure de voiture de la capitale.

David Abramczyk dirige, Joël Thiébault conseille, Natacha Billet produit et Thomas s’éclate en cuisine. La « tartelette aux légumes, copeaux de vieux parmesan et pulpe de cresson » débarque à la carte.

Thomas boullault
Les jardins de Douchy – ©180°C – Photographie Emmanuel Laveran

Septembre 2019
Eric Martins, le propriétaire de l’Arôme, souhaite vendre ses parts. Ni une ni deux, Thomas consulte sa banque et rachète le fonds de commerce du restaurant. Le Chef, qui fut l’un des plus jeunes étoilés de France en 2009, s’installe chez lui.

Dans les faits, en termes de droit bancaire, la réalité est toute autre. Disons qu’il se trouve endetté à 7 chiffres. Il sera peut-être « chez lui » dans 10 ans…

Les trois premiers mois, Thomas vit bien son nouveau statut. Sa cuisine fait mouche, l’Arôme cartonne.

Décembre 2019
Le ciel s’assombrit. Les grèves éclatent et ternissent les fêtes de fin d’année. On se serre la ceinture pour Noël.
C’est dans ce contexte qu’à l’autre bout du monde, un trafiquant d’espèces animales protégées aurait contracté un rhume étrange en tripotant un pangolin… D’abord la Chine aurait fermé les yeux et tenté d’étouffer l’affaire. Mais la maladie, hautement transmissible, se propage dans le monde des humains à vitesse grand V.

14 Mars 2020
Patatras ! Le gouvernement annonce le confinement général. Il impose la fermeture des lieux publics et des restaurants.
L’équipe de Thomas se retrouve au chômage technique. Le Chef gagne sa Sologne natale où il restera confiné 6 semaines. Il nous raconte : « Les premiers jours c’était génial, j’ai réalisé que jamais je n’avais autant vu ma femme et mes filles. On a fait des quiches et des gaufres avec Lisa et Laura. La coupure m’a fait du bien ».

4 Avril 2020
Le premier loyer de l’Arôme post confinement tombe. « Heureusement, j’avais réussi à constituer un peu de trésorerie… » nous confie Thomas.
Trois semaines plus tard, il ne cesse d’échanger avec ses équipes par mobile interposé. Tout le monde brûle d’envie de reprendre le boulot. Au bord d’un étang en Sologne ou coincé dans son appart’ à Paris, on s’ennuie ferme…alors on ouvre !

4 Mai 2020
Thomas Boullault regagne la capitale, décidé à proposer les plats de l’Arôme en livraison ou à emporter. S’ensuit une semaine à bosser 18 heures par jour. Il passe des commandes à ses producteurs, réalise des tests en cuisine, rédige une nouvelle carte. En parallèle il fait le tour des marchands d’emballages, reçoit tous les coursiers de Paris, investit dans un site de commande en ligne, réalise un parcours du combattant pour se fournir en masques et en gants. Il achète même un thermomètre électrique pour tester ses équipiers, matin et soir. Il imagine son nouveau métier.

9 Mai 2020
Thomas Boullault se tient prêt à concurrencer Uber eats et Deliveroo.

11 Mai 2020
Par le groupe Whatsapp « les copains de Jéjé », il reçoit d’un ami fidèle sa première commande à emporter :

 

  • 1 « croque-monsieur du Grand-Père Leroy » (11€), formidablement moelleux, soufflé au four, comme lui préparait son papy.

 

  • 1 « Asperges blanches de Sologne, crème double à la framboise ». Une entrée géniale et précise, d’une exquise délicatesse (18€),

 

  • 1 « Pâté en croûte canard, foie gras et abricots », aujourd’hui sans conteste le meilleur de Paris (14€), créé en hommage au papa charcutier parti trop vite dans un accident de la route,

 

  • 1 « poisson de petite pêche/artichauts barigoule/lomo ibérique/gelée de sakura (fleurs de cerisiers) » (26€), un filet de bar qui déchire, flanqué d’instructions claires de réchauffage. Impossible de se rater, on mange l’Arôme à domicile.

 

Et enfin :

 

  • 1 « étuvée de légumes des jardins de Douchy » (19€). 4 variétés de pois gourmands, des radis rouges, du navet de Tokyo, des pousses d’épinards, blettes, carottes, oignons nouveaux, chou rave, tous cuits séparément dans des petites casseroles, avec un filet d’eau et d’huile d’olive. Ses petits légumes à lui, à emporter.

 

Jeudi 14 mai 2020 
Alors qu’on écrit ces lignes, l’Espoir a les yeux qui brillent.

 

Face au COVID 19, Thomas fait le Boullault

L’Arôme – Thomas Boullault
3, Rue Saint-Philippe du Roule
75008 PARIS
Tel: 01 42 25 55 98
www.larome.fr

 

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