L’eau de fleur d’oranger made in France

La fleur d’oranger évoque le Liban, le Maroc ou l’Iran, et pourtant c’est aussi une tradition française. Dans le Sud-Est, à Vallauris-Golfe-Juan, on produit depuis plus d’un siècle une eau parfumée d’une qualité exceptionnelle. Cette eau de fleur d’oranger-là, c’est quelque chose. Une rareté, produite au Nérolium, la coopérative agricole de Vallauris-Golfe-Juan dans les Alpes-Maritimes. C’est la seule à faire ça en France, et c’est d’ailleurs sa raison d’être. Le Nérolium a été créé en 1904 par les propriétaires d’orangers amers – ou bigaradiers – de la commune, furieux de la façon dont les traitaient les parfumeurs de Grasse.

Un sous-produit de la parfumerie
Car l’histoire de l’eau de fleur d’oranger, produit phare de la cuisine du Sud, est étroitement liée à celle du parfum. En fait, cette eau n’est que le sous-produit de l’extraction d’huile essentielle de bigaradier, ou néroli, un excellent fixateur naturel qui vaut des fortunes. À Vallauris-Golfe-Juan, on cultive des orangers amers en masse depuis plus de 150 ans, au moment où Grasse s’est sérieusement mise à la parfumerie. Les producteurs de fleurs ont choisi de s’unir au bout de 50 années de rapports tumultueux avec les Grassois et de produire eux-mêmes le néroli – et donc l’eau de fleur d’oranger – au lieu de fournir les fleurs directement aux parfumeurs. Le Nérolium est ainsi né.

Production en chute libre
Bien entendu, la production de l’époque n’avait rien à voir avec celle d’aujourd’hui. La commune ne vivait que pour et par les orangers. On embauchait des centaines de Piémontais pour cueillir la fleur pendant la saison, qui s’étendait de la mi-avril jusqu’à la fin du mois de mai. En hiver, on cueillait les oranges amères. On en faisait des apéritifs, des confitures, des tas de trucs. Et puis la Côte d’Azur est devenue un lieu de tourisme, les anciens ont vendu leurs terrains et leurs arbres à des gens qui voulaient une villa, une piscine et des lauriers roses. Petit à petit, les sociétaires du Nérolium ont été moins nombreux.

Il reste une cinquantaine de familles qui  » font la fleur », comme on dit ici.

Mais toutes ne sont pas forcément assidues ou présentes chaque année. Certaines, comme la mienne, ont une production très modeste, de l’ordre de quelques dizaines de kilos par saison, une saison d’ailleurs de plus en plus courte. Il y a 50 ans, on cueillait des centaines de kilos de fleurs par jour sur chaque propriété. En 1920, on totalisait à 2000 tonnes en un printemps. Bref, on produit moins aujourd’hui, mais on fait tout comme autrefois. Les arbres ne sont pas traités, les gestes et le matériel n’ont pas changé.

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La famille Isoardi, cueilleurs depuis Napoléon III – © 180°C – Photographie Camille Oger

Rituel de cueillette
On étend des draps au sol. On grimpe sur des escabeaux à trois pieds, très pratiques car ils passent entre les branches des petits orangers. On cueille chaque fleur avec délicatesse, en veillant à ne prendre que celles qui sont bien ouvertes. On trie, retirant les feuilles et les débris de bois, ainsi que pas mal d’insectes qui se saoulent dans le pollen.
Les hannetons, d’habitude si vifs, sont complètement engourdis par la fleur d’oranger. On dit qu’elle a des vertus calmantes, et ça se voit à leur comportement, ainsi qu’à celui des cueilleurs. L’activité est pleine de douceur. Les petites fleurs font un charmant poc, poc, poc, en tombant sur les tissus. L’air sent bon. Il fait doux. On est en famille. À ce moment précis, on sait où on est, quand on est et ce qu’on fait. On est animé par quelque chose de beau et de paisible. On attend la pesée.

Une tonne de fleurs pour 700 litres d’eau parfumée
On porte la cueillette à la coopérative. Les fleurs triées passent sur la vieille balance et sont mises en commun à même le sol. Les soirs de relevée, il y en a parfois plus d’une tonne étendues ainsi. Parfum magique.

Elles seront distillées dans l’alambic de 1904 qu’Omar, l’homme providentiel du Nérolium, maintient en état de marche.

La distillation commence tôt le lendemain matin et dure des heures. Le néroli sort en premier, puis vient l’eau parfumée, qu’on appelle aussi hydrolat, tirée à 70% seulement pour concentrer les arômes. Avec une tonne de fleurs, on produit donc environ 700 litres de cette eau. Elle a un parfum d’une incroyable profondeur, très puissant tout en restant délicat.

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Omar tirant le néroli, l’huile essentielle de bigaradier – – © 180°C – Photographie Camille Oger

L’emblématique fiole bleue des cuisinières
En 2017, la récolte a été maigre. Le Nérolium n’a tiré que 2,5 tonnes d’eau de fleur d’oranger. Elle a reposé environ deux mois dans un réservoir souterrain pour développer tous ses arômes avant d’être mise en bouteille au mois de juillet. Chacune de ces fioles bleues est précieuse. On l’utilise l’eau pour parfumer les fougassettes, des petits pains tendres que l’on donnait autrefois aux enfants pour le goûter, quand les croissants et les pains au chocolat n’existaient pas encore ici. Elle fait aussi des merveilles dans la mouna, la pâte à crêpes ou les ganses.

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Mise en bouteille par Paul AKA Pollux – © 180°C – Photographie Camille Oger

Pour combien de temps encore ? Peut-être pas très longtemps. Mais en attendant, chaque printemps est un rendez-vous que les cueilleurs attendent. Et chaque été, une nouvelle cuvée d’eau de fleur d’oranger se déguste avec l’immense fierté d’y avoir contribué. Vivement l’an prochain.

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