Quand Simplissime
vire au simpliste et
au mépris des lecteurs

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© Hachette - Simplissime étudiants

Tout avait pourtant bien démarré. En septembre 2015, Jean-François Mallet, connu jusque-là pour ses ouvrages bien ficelés aux photographies bien léchées lance un pavé dans la mare éditoriale en publiant sous la bannière des éditions Hachette Cuisine : « Simplissime, le livre de cuisine le + facile du monde ».
Tribune de Déborah Dupont, la Librairie Gourmande

Les premiers jours en librairie sont difficiles, le style minimaliste de Simplissime n’obtenant pas vraiment l’adhésion des familiers des rayons cuisine. Il suffira pourtant d’un passage avec François-Régis Gaudry dans l’émission de France Inter On Va Déguster et d’un autre avec Elise Lucet pour les Cinq dernières minutes du journal télévisé de France 2 pour que la magie s’opère auprès du grand public ! Rapidement, l’éditeur est en rupture (le premier tirage était de 10 000 exemplaires), il faut réimprimer. Le manque fait son effet, les clients précommandant l’ouvrage sans l’avoir feuilleté, l’hystérie est à son comble, c’est LE cadeau de Noël 2015. Immense succès, il se dit qu’entre septembre et décembre, près de 80 000 exemplaires ont été placés et vendus.

Et la truffe devint le lecteur… ou vice-versa
Le succès du premier Simplissime est alors indéniable, et tout le monde applaudit au tour de force de réconcilier ainsi les Français avec la cuisine du quotidien. Les débutants se sentent enfin compris, eux qui ne se retrouvaient pas dans les ouvrages de cuisine classiques, avec un vocabulaire hermétique, des ingrédients introuvables au supermarché du coin, des temps de cuisson ou de préparation inadaptés au quotidien et au manque de compétences.
Vient ensuite le temps de la déclinaison en tous genres avec, dès le printemps 2016, une version « Light », les « Desserts » arrivant en août avant les premières thématiques à petit prix (6.95€) à l’automne (Soupes et bouillons, Terrines et foie gras, Végétarienne et Apéro) et surtout le « Dîners chics », première véritable injure à la cuisine. La truffe y est omniprésente (14 recettes, avec souvent l’exigence d’une truffe entière de 40g), les autres produits nobles aussi (langouste, chevreuil, faisan, homard…), les recettes sont forcément plus complexes, et le modèle des 5 ou 6 ingrédients et du texte en 2 ou 3 points atteint sa limite.
Impossible par exemple au débutant de comprendre quelque chose à la cuisson du céleri-rave qui se contente souvent d’un « Préchauffer le four à 180°C. Faites cuire le céleri-rave 30 min avec de l’eau à hauteur puis mixez, salez, poivrez et ajoutez la crème ». Le four sert en réalité à la cuisson de la viande, le céleri doit bien évidemment être épluché et coupé pour être cuit à la casserole, mais économies de texte, de papier et d’explications obligent, pour la compréhension le lecteur repassera.

Coquillettes au tarama. Youpi !
Mais il faut publier, vite, et sur toutes les thématiques, pour occuper les linéaires face à la concurrence des autres éditeurs qui se réveillent enfin. Les pizzas, les pâtes complètent la série (on passera sur les coquillettes au tarama), et l’été 2017 voit arriver « 10, 15, 20 à table, les recettes les + faciles du monde ». Ah les grandes tablées, les recettes conviviales, à la bonne franquette ! Là c’est sûr, Simplissime va nous faciliter la vie.

La désillusion est brutale, si les recettes sont en effet simples, les quantités n’y sont pas.

Prévoir pour une soupe au lard et reblochon pour 10 personnes 5 pommes de terre, 5 carottes, 1 poireau, 5 tranches de lard fumé (même épaisses) et ½ reblochon manque franchement de générosité. Que dire des coquilles Saint-jacques cheddar et tomates avec 1 coquille et 1,5 tomate cerise par personne. Ou encore du pot-au-feu à la saucisse avec 2 saucisses de Morteau, 1 poireau, 8 carottes, et 8 navets ?

Une insulte faite aux jeunes, et aux petits budgets
Tant que ce n’était qu’approximations techniques et proportions approximatives, cela pouvait encore passer. Après tout Jean-François Mallet et les éditions Hachette ne sont malheureusement ni les premiers ni les derniers à publier des livres de cuisine dont les recettes ne tombent pas parfaitement juste.
Mais les deux derniers opus parus en août et septembre 2017 méritent, eux, largement une colère généralisée de la part des médias, des libraires et des acheteurs. Le premier cible les étudiants, avec 100 « recettes à 2€ par personne », le second est généraliste, et promet des « plats à 1 euro les + faciles du monde ». Et là clairement,  le compte n’y est pas, mais alors pas du tout.

Rapport qualité prix ?
Déjà, alors que ces ouvrages s’adressent aux plus fragiles, à ceux qui débutent et n’y connaissent rien, et qui en outre ont peu de budget à y consacrer, le lecteur ne peut que s’étonner de l’omniprésence de la viande. Qui peut encore sérieusement penser que lorsque l’on cuisine pour pas cher, il faut axer le plat sur la viande ?Si encore ces ouvrages proposaient de cuisiner les bas morceaux, en cuisson certes longue, mais simple et avec peu de vaisselle, pourquoi pas. Mais non car par viande, l’auteur entend bien évidemment des lardons, du jambon, de la chair à saucisse, du bœuf haché, de l’escalope de volaille… soit ce qui se fait de moins cher certes, mais aussi de moins intéressant d’un point de vue nutritionnel (quand ces produits ne sont pas entachés par un scandale alimentaire). On s’étonnera aussi de la présence dans 2 recettes étudiantes de côtelettes d’agneau, qu’il faut en outre désosser. Pour récupérer 4 cubes de noix, est-ce réellement le meilleur rapport qualité prix ?
Ensuite, pour l’équilibre nutritionnel aussi on repassera, ce n’est qu’avalanche de tartines gratinées, de tortillas, de burritos (avec 1/2 de baguette ou 2 tortilla pour 2 personnes, c’est bien connu, les étudiants sont petits mangeurs). C’est la foire aux glucides, les légumes se résumant souvent à la boîte de concassé de tomates. Sans oublier le recyclage d’un ouvrage à l’autre… les lasagnes de pommes de terre (sic) de l’étudiant pour 2 personnes (2 grosses pommes de terre, 4 verres de concassé de tomate, 200 g de viande hachée et 4 cuillères de parmesan) deviennent, dans la version généraliste avec 4 convives : 3 grosses pommes de terre, 200g de chair à saucisse, 400g de concassé de tomates, 1 poignée de fromage râpé et 1 cuillère d’origan. Je vous laisse juge de l’adaptation des proportions et du respect de la promesse vendue en couverture.

Où sont les légumes ?
Facile en effet de promettre des plats à 1€ par personne si les proportions sont telles qu’il n’y a rien à manger. Où sont les lentilles, les pois chiche, les sardines en boite… tous ces produits accessibles, nourrissants et bons ?

Où sont les légumes, que l’on peut acheter à bas prix en fin de marché et cuisiner en potages, en mijotés ?

Pourquoi réduire ainsi ceux qui ne veulent ou ne peuvent consacrer plus de quelques euros à la confection d’un repas à ce qu’ils consomment déjà, ou peuvent trouver tout prêt dans des boites au supermarché ?
Il est tellement dommage qu’un auteur aussi célébrissime ne se serve pas de son talent, de ses compétences et de la force éditoriale de sa maison pour réellement réconcilier les plus fragiles avec le bien manger. N’est-ce pas justement le rôle des cuisiniers que d’éduquer, de guider avec pédagogie vers l’approvisionnement de saison, au juste prix, des aliments les plus simples mais qui peuvent donner lieu à des festins avec un minimum d’assaisonnement ?

N’est malheureusement pas Jean-Pierre Coffe qui veut. Et il est dramatique que celui qui aurait pu apparaître comme son successeur se laisse ainsi aller à proposer… de faire bouffer aux gens de la merde.

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