Ça change du pot-au-feu
et c’est rudement bon : le “kig ha farz”

Spécialité de la région du Léon, dans le nord du Finistère, le kig ha farz a commencé à réchauffer mes hivers quand ma copine Anne-Yvonne de Lesneven, Bretonne de filiation et Provençale d’adoption, m’a lancé :
– Il faut absolument que je te fasse un kikafarss.
– Un quoi ?
– Un pot-au-feu au far, avec une sauce au beurre.
Description follement exotique pour une Méditerranéenne biberonnée à l’aïoli  et au couscous !

Far en sac (garanti sans réglisse)
Comme tout le monde, sauf les Bretons, je pensais naguère que le far était une sorte de clafoutis aux pruneaux un peu estouffe-gari, comme on dit ici. Mais ça, c’était avant que je goûte, chez Patrick Cadour , dans la région des abers, un authentique farz forn, dont les vagues dorées sont aussi légères en bouche que l’écume qui anime l’océan à marée haute. Patrick m’a également appris que le far – farz en breton – est avant tout une pâte que l’on peut cuire et accommoder de multiples façons. Celle-ci est basée sur une trinité de farine, œufs et liquide (le plus souvent du lait), avec parfois, Bretagne oblige, le beurre faisant office de saint sacrement. Un autre Patrick breton, Patrick Hervé, auteur d’un ouvrage consacré au sujet1, explique qu’il existe principalement deux sortes de far : le far au four (farz forn) et le far en sac (farz sac’h), le second ayant historiquement précédé le premier2.

Ebony and ivory
Le kig ha farz (littéralement « viande et far »), qui consiste en un far en sac cuit dans un bouillon de viande et de légumes, synthétise plusieurs siècles d’histoire agricole et sociale en Bretagne. Il associe généralement un far noir salé (farz gwinizh-du, au sarrasin) et un far blanc sucré (farz gwinizh, au froment), même si seul le premier, véritable signature du plat, est indispensable. Pendant l’Ancien Régime, le farz sac’h était élaboré avec de la farine de sarrasin, non panifiable, que les paysans consommaient en guise de substitut au pain. Ce n’est qu’au XIXe siècle que le far « gâteau » apparut, grâce à la généralisation des fours et de la culture du froment. La cuisson en sac se maintint toutefois dans certaines régions et, dans le Léon, le développement de la culture maraîchère donna naissance au kig ha farz.

Une recette de kig ha farz
Il en existe autant de recettes que de familles, mais le principe reste toujours le même : celui d’un ou deux farz sac’h cuits dans un pot-au-feu associant porc salé et bœuf à bouillir. La cuisinière Gwenola Pierret-Abiven, originaire du Nord Finistère, ajoute parfois une saucisse de Morteau au kig ha farz qu’elle propose chaque hiver à ses clients nantais (Au panier perché, Trentemoult3). Le farz noir se sert souvent « brujuné », c’est-à-dire émietté comme un couscous grossier4 (pas si dépaysant, finalement, le kig océanique). Le tout peut être arrosé de lipig, une sauce qui marie généralement échalotes et beurre. Comme le pot-au-feu, le kig ha farz est enfin un bonheur de cuisine des restes, avec un gros coup de cœur pour les miettes de farz noir poêlées et colorées dans du beurre. Gwenola suggère par exemple de les servir avec une embeurrée de chou frisé, du poisson et du beurre blanc – en Bretagne, le beurre c’est pas gras, à l’image du confit un peu plus au sud.

1. Patrick Hervé, Far breton et kig-ha-farz, éd. Skol Vreizh, 2014.
2. Il existe aussi le far en cocotte et le far poêlé, précise Patrick Cadour.
3. Au panier perché, restaurant traiteur, Trentemoult
    https://www.facebook.com/Au-Panier-Perch%C3%A9-627637860625577/
4. “Le kig ha farz, entretien avec Françoise Buisson”, dans Julia Csergo (dir.), Pot-au-feu. Convivial, familial : histoires d’un mythe, éd. Autrement, 1999.

Ça change du pot-au-feu<br>et c'est rudement bon : le "kig ha farz"

Voici la liste des ingrédients
pour une grande marmite de Kig ha farz 

(À savoir qu’on trouve des sacs à farz, très résistants, dans le Finistère ou en ligne. On ne les lave qu’à l’eau claire.)

Pour le pot-au-feu:
les viandes
. 1 morceau de poitrine de porc demi-sel
. 1 ou 2 jarrets de porc demi-sel
. Du saucisson à cuire
. 1 morceau de plat de côtes de bœuf
. Du paleron de bœuf ou d’autres morceaux à bouillir
. Éventuellement des os à moelle

Les légumes 
. 1 oignon piqué de clous de girofle
. Poireaux
. 1 chou blanc ou frisé
. Carottes
. Navets
. Panais comme souvent dans le Léon

Les aromates 
. 1 petite branche de céleri
. Laurier
. Thym
. Quelques tiges de persil si on en a
. Gros sel et poivre

Pour le farz noir :
. 500 g de farine de blé noir
. 2 œufs
. 25 cl de crème liquide
. 1/2 litre de lait (environ) ou de bouillon
. Du pot-au-feu
. Un peu de sel
(Pour un far plus compact à couper en tranches, mettre davantage d’œufs.)

Pour le farz blanc :
. 500 g de farine de froment
. 100 g de sucre
. 50 g de beurre fondu
. 4 œufs
. 1/2 litre de lait.
(Certains ajoutent à l’un des deux farz des pruneaux ou des raisins secs trempés dans de l’eau chaude.)

Pour le lipig :
. 100 g de beurre demi-sel
. 8 échalotes
. du bouillon du pot-au-feu.

 

Préparation

1/ Faire dessaler les viandes demi-sel dans de l’eau froide pendant plusieurs heures.

2/ Faire dorer le plat de cote dans une grande marmite, puis le couvrir d’eau froide et ajouter une petite poignée de  gros sel. Faire chauffer et laisser mijoter pendant 1 h environ.

3/ Ajouter les autres morceaux de bœuf (mais pas les os à moelle), l’oignon piqué de clous de girofle, les aromates sauf le poivre.

4/ Au bout de 30 minutes, ajouter les viandes de porc, les verts de poireaux ficelés et la branche de céleri.

5/ Pendant que tout ce beau monde glougloute, préparer le farz noir : battre la farine avec les œufs et la crème. Ajouter lentement le lait ou le bouillon en fouettant. Saler. La pâte doit être plus épaisse qu’une pâte à crêpes. La laisser reposer une grosse demi-heure puis la verser dans le sac, sans trop le remplir car la pâte gonfle à la cuisson. Le fermer avec une ficelle.

Faire de même avec le farz blanc. Patrick Cadour préfère le cuire au four.

6/ Plonger les sacs dans le bouillon. Laisser cuire pendant 1 h 30. Poivrer en fin de cuisson.

7/ Pendant ce temps, préparer le lipig : émincer finement les échalotes et les faire fondre tout doucement dans une casserole avec le beurre et 2 louches de bouillon.

8/ Ajouter les légumes parés au fur et à mesure, en évaluant leur temps de cuisson de façon à ce qu’ils ne soient pas réduits en bouillie. 30 minutes avant la fin de la cuisson, ajouter les os à moelle frottés au gros sel.

9/ Pour servir, sortir délicatement les farz des sacs. Laisser reposer pendant 5-10 minutes. Rouler le sac de farz noir sur le plan de travail puis sortir la pâte en l’émiettant. Couper le farz blanc en tranches. Commencer par servir du bouillon, puis présenter les viandes coupées dans un plat, arrosées d’une louche de bouillon, et les légumes dans un autre, sans oublier les farz et le lipig émulsionné. Gwenola sert viandes et légumes dans l’assiette, accompagnés d’un bol de bouillon que les convives peuvent boire ou verser sur le plat.

Ça change du pot-au-feu<br>et c'est rudement bon : le "kig ha farz"

 

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