Bachique blog # 1 : Premières

Pour son projet Orphée Vigneron l’artiste transmédia Donatien Garnier a décidé de suivre l’élaboration d’une cuvée pendant deux ans. Depuis octobre dernier il se rend toutes les lunes au Mas Foulaquier (Pic saint-Loup), chez Blandine et Pierre Jéquier. Accueilli par La Gazette de 180° son blog biomimétique – voire biodynamique – oscille entre récit documentaire et création littéraire. En voici le premier épisode…

Bachique blog # 1 : Premières
Mas – © Photographie Donatien garnier

 

1. C’est un premier jour1 ; ce n’est pas la première fois que je me rends2 au Mas Foulaquier mais c’est ma première visite pour Orphée vigneron3.
1. Le premier octobre 2019
2. Je suis peut-être venu à cinq reprises depuis 2009.
3. Voir le Bachique blog zéro.
2. Il en convoque deux autres : d’abord le jour J4 où Pierre engage sa voiture sur un chemin de terre, tout à droite5 après la sortie de Claret6.
4. Juin 1998
5. Sur la route des Embrucalles
6. À la frontière du Grd et de l’Hérault
3. Le chemin monte doucement vers une colline boisée, longe des rangs de Grenache puis de Syrah, bifurque vers le mas, ses oiseaux7, sa vue, ses arbres8.
7. Beaucoup d’espèces nichent à Foulaquier, laissant au passage des noms de cuvée : Rollier, Petit duc, Loriot, linotte mélodieuse…
8. Un vaste micocoulier sur la terrasse capte toute l’attention, il faudra un peu de temps pour distinguer, le cornouiller tors, le grand mûrier, le tilleul…
4. Chaque détail compte, concourt au sentiment qui se forme et contre lequel il faudra se défendre9, le sentiment que c’est là, et nulle part ailleurs.
9. Au moment de négocier avec le vendeur, un juge communiste haut en couleur qui a fait de Foulaquier un vignoble, un restaurant et un lieu de fête (pour les Montpelliérains).
5. Le désir vient de loin et il n’est pas suffisant pour le comprendre de mentionner qu’il vient de Fleurier10, dans le Jura Suisse.
10. Village horloger du Jura Suisse où la famille Jéquier est établie depuis le XVe siècle.
6. Il s’est fondé dans la fournaise, au Burkina Faso11, dans l’intensité de concevoir et de bâtir ensemble12, mains dans la terre.
11. Pierre, alors architecte, fut employé dans ce pays par la coopération suisse entre 1993 et 1995. Il y revint ensuite régulièrement comme consultant.
12. Le marché d’Ouahigouya d’abord puis, plusieurs autres, tous conçus en concertation avec les commerçants puis construits avec des artisans et des matériaux locaux.
7. Il s’est épanoui dans l’étroitesse d’une chambrette, l’ascèse d’un micro bureau d’étude13 : calculant pour d’autres, épargnant pour soi.
13. À Genève où il est revenu s’installer en 1995.
8. Il a dû repasser par l’école, autant dire aux Enfers14, entrer dans la mécanique, la chimie, avec cette prime helvète déjà gagnée en architecture15: la pratique.
14. Pierre se souvient encore des longues listes de molécules chimique qu’il fallait mémoriser : indigeste, déjà.
15.Voie choisie par défaut après des études scientifiques au Lycée de Neufchâtel mais révélant très vite sa justesse.
9. Il s’est construit sa chance, ses critères16, son budget, qui l’ont conduit ici, presque tout droit17, à travers le dédale des terroirs.
16. Le sud, la proximité d’un espace sauvage, du relief, un sol et des cépages expressifs…
17. Après – seulement –deux ans de recherche.
10. Ce pécule désirant ne suffit pas, négocier ne suffit pas, renoncer est impossible : il faut trouver des associés ; ils sont là, tout proches18, ne font pas défaut.
18. Une tante, complice de toujours, un couple d’ami, l’épouse d’alors.
11. Puis c’est la joie intense, être seul dans sa vigne19, respirer la mélisse, entendre le sifflement légèrement roulé : mais quel est cet oiseau20 ?
19. Un premier jour chez soi, autour du 20 octobre 1998.
20. La fauvette Orphée, oiseau migrateur appelé localement « l’Africain » pour ses allers et retours transméditerranéens.
12. Ensuite le jour C21, dans un restaurant22, à Paris, où Blandine découvre L’Orphée, et le Mas Foulaquier.
21. En mai 2000, avec son ami, le critique gastronomique Pierrick Jégu. Blandine s’appelle encore Chauchat.
22. Le Chateaubriand, avenue Parmentier dans le 11e arrondissement.
13. Idéalisons un peu23, au nez c’est un versant idéalement exposé au sud, en bouche un éboulis de gravettes sur fond d’argiles rouges.
23. En réalité, Blandine se souvient ne pas avoir beaucoup aimé cette première dégustation.
14. Derrière le fruit, le discret épice, c’est un panorama24 qui se déploie, cirque jurassique, falaises calcaires, coteaux tissés d’arbres.
24. Au sud, Le roc des Mates, les reliefs triangulaires du Mas neuf, du vieux Claret et de Serre Rond, à l’ouest  La falaise de la taillade, au Nord le massif du Coutah, à l’est le village de Claret, l’évasement de la vallée de Gourniès.
15. L’homme n’apparait pas encore dans le paysage, mais une route se confirme, dans le double-fond de l’Assemblée nationale25.
25. Où Blandine est secrétaire des débats depuis  février 1995 et où, via le club d’œnologie animé par Danièle Gérault, elle découvre le vin.
16. Et tout à coup on parlerait de voile, c’est-à-dire d’un parcours en zig-zag, d’un billard à trois bandes : Pacifique26, Atlantique27, Méditerranée28.
26. Dans ses jeunes années, Pierre a traversé deux fois le Pacifique, en cargo et en voilier.
27. Avec Benoît, son frère skipper, Blandine a souvent navigué en Atlantique
28. Mer de partage.
17. Le premier bord29 de Blandine, pointe30 vers Mâcon, le BTS viti-œno, un près serré31 qu’elle recommande depuis.
29. Viticole
30. Entre juin 2000 et juin 2001.
31. Comme pour Pierre, le retour aux études ne se fait pas sans douleur, les maths financières apprises à l’université d’Assas et qui avaient été décisifs dans le difficile concours d’entrée à l’Assemblée, apporteront quelques précieux points.
18. Son deuxième bord file plein ouest, vers l’Anjou, la Loire32 ou les premières vignes33 sont louées, la première cuvée lancée.
32. Lieu dit Maligné sur la commune de Martigné Briand.
33. Appellation coteaux du layon, Anjou blanc, Anjou rouge et Anjou village
19. Son troisième changement d’amure l’envoie grand largue, vers l’Orphée, vers Pierre34, sud sud-est au compas, chevaux lâchés, vers le printemps35.
34. Blandine et Pierre se sont rencontrés un an plus tôt, en janvier 2002 au salon des vins d’Angers.
35. Nous sommes en mars  2003.
20. Un peu plus tard dans le camion36, des barriques en travail, des bouteilles et des lies-souvenirs37 : premières cuvées38, premières surprises.
36. Qui arrivera en juin.
37. Elles resteront quelques temps au congélateur jusqu’à finir par erreur dans un rizotto.
38. La jeune fille, 100 % cabernet franc, jeunes vignes de 4 ans ; la vieille fille assemblage cabernet franc et cabernet sauvignon, vieilles vignes de 35 ans.
21. Le chemin monte doucement dans le soleil39, longe les huit hectares où se fomentent les Calades et l’Orphée, on y est presque mais pas tout à fait40.
39. Blandine est venue souvent venue à Claret avant son installation mais dans son souvenir, jusqu’alors, il avait fait mauvais.
40. Pierre n’est pas encore divorcé, sa femme toujours associée et l’accueil au village encore, disons, tiède.
22. Avant de s’installer, puis de se marier41, puis de donner naissance à deux enfants42,  de fondre les domaines et les cuvées43, enfin ensemble.
41. Le 15 octobre 2005
42. Rosalie puis Léon
43. Blandine a tout de suite acheté ses propres parcelles de syrah, grenache et carignan, sur un coteau exposé au nord. Elle s’associe à Pierre en décembre 2005
23. C’est mon premier jour, je veux commencer par marcher, faire le tour des parcelles44, rencontrer l’Orphée45 par le sol, je voudrais être pieds nus.
44. Encore très vertes, en pleine constitution de leur réserves pour l’hiver, dans le bois aérien, les racines.
45. Et sa famille. Ses frères : Calades, Amours Vendangeurs, Petit Duc. Ses cousins : Chouette Blanche, Gran’T, Tonillières.
24. Autour, dans les autres domaines, les vignes exhibent leurs raisins mûrs ; ici, il ne reste46 que quelques grappes, éparses et délicieuses47 : bienvenue en Anomalie.
46. Les vendanges se sont terminées le 16 septembre.
47. Je goûte deux fois, avec surprise, ces rescapés : dans les vignes et sous la forme d’une confiture préparée par Jérémie : confiture d’Orphée !

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