À mon dernier repas,
je veux du pan bagnat

On n’imagine pas tout ce qu’il y a dans un pan bagnat. Je veux dire : tout ce qu’il y a en plus du pain, des tomates, des anchois et des autres ingrédients autorisés par les Saints Gardiens du Temple du Pan Bagnat.

Dans le pan bagnat, il y a une madeleine
Si je mange un pan bagnat en fermant les yeux, je sens, mêlées aux effluves d’huile d’olive, de thon, de cébette et de poivron, les fragrances primitives de l’iode, des pins, de l’ambre solaire, du polo à la menthe du goûter et des immenses figuiers s’éternisant au fond de la plage où je passais mes week-ends d’enfance, entre Martigues et Marseille, avec des glacières chargées de « pains baignés ».

Dans le pan bagnat, il y a Albert Camus
Beaucoup plus tard, j’ai lu Noces, où Camus écrit : “j’appelle imbécile celui qui a peur de jouir”, évoquant aussi les « prêches ennuyeux des naturistes, ces protestants de la chair (il y a une systématique du corps qui est aussi exaspérante que celle de l’esprit). » Camus aime pourtant la nudité, celle de l’amour et celle qui consiste à être « bien au soleil », naturellement, sans théorisation ni codification de la jouissance de l’instant. Dans le pan bagnat, il y a de la diète méditerranéenne évidemment, des antioxydants sans doute, du manger-bouger sûrement, de la culture locale et de l’agriculture paysanne en veux-tu en voilà. Peu m’importe. Le pan bagnat, c’est simplement bon, bon au-delà des mots, et j’ai perdu foi en l’humanité quand quelqu’un a suggéré, sur un réseau social, d’exclure le thon et l’anchois du pan bagnat, ajoutant que ce dernier « ne perdrait pas grand-chose à devenir végan » (je viens de me signer, mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit eux-mêmes sont affligés à cause de leur méditerranéité bafouée).

Dans le pan bagnat, n’y a-t-il pas la Toscane ?
On lit ça et là que le pan bagnat serait une salade niçoise portative, mais je suppose qu’il met en sandwich la panzanella davantage que la pointilleuse composition azuréenne. La Commune Libre du pan bagnat explique en effet sur son site que le pan bagnat, qui signifie « pain mouillé », était à l’origine du pain rassis que les ménagères passaient sous un filet d’eau pour le ramollir avant de l’ajouter à une salade. Et la panzanella ? La recette toscane de tomate et de pain sec serait née, elle aussi, avant que les conquistadores ne changent la couleur de la Méditerranée en rapportant du Nouveau Monde des pépins de pomme dorée : la recette paysanne consistait à recycler le pain sec en l’humidifiant, l’agrémentant ensuite avec les ingrédients disponibles (vinaigre, oignon, pourpier…). Les Niçois n’avaient plus qu’à montrer toute l’étendue de leur génie culinaire en créant la version casse-croûte du pain mouillé au jus de tomate.

Dans le pan bagnat, il y a…
Du pain ouvert et imbibé d’huile d’olive et/ou de vinaigre, des tomates, des lamelles très fines de poivron vert, des cébettes hachées, éventuellement des artichauts violets, des fèves, des radis, du sel pour aider les légumes à répandre leur jus dans la mie, du poivre pour faire monter le pan bagnat au nez. Il y a aussi des filets d’anchois et/ou du thon en boîte, ainsi que des rondelles d’œuf dur. Il y a enfin, si l’on veut, du basilic frais, voire des olives pour remplacer le thon et les anchois si l’on tient malgré tout au pan bagnat végan.

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