Haïti ou les spaghettis du petit déj’

Haïti ou les spaghettis du petit déj'
© 180°C - Photographie Camille Oger

Debout les enfants, les spaghettis sont prêts ! C’est comme ça que commencent les journées à Haïti, avec une plâtrée de pâtes aux saucisses. Une recette qui ne vient pas du tout d’Italie, et qui est devenue 100% haïtienne.

À Haïti, on mange beaucoup de spaghettis. C’est l’un des produits de base, contre toute attente, dans un pays des Caraïbes – aussi indispensable que le riz, l’huile ou les œufs, qui font partie de tous les repas ou presque. Comme vous pouvez le voir sur l’une des photos de cet article, chez Dieu Tout Puissant, une petite épicerie de Jacmel, au sud de Port-au-Prince, les spaghettis font partie des premières nécessités. Toutefois, malgré leur importance, ils ne sont pas accommodés de 50 façons à Haïti. Il y a une recette principale, avec deux ou trois variations. Et surtout, c’est un plat du petit-déjeuner. Ou éventuellement, un goûter. Et cette idée ne vient pas du tout des Français.

Si les Haïtiens parlent encore très largement français, l’influence culturelle de l’Hexagone sur leur pays est finalement limitée. Haïti est un pays indépendant depuis 1804 – c’est en fait la première colonie à s’être libérée du joug de la France, nourrie par l’élan révolutionnaire de 1789, et culinairement parlant, nous n’avons pas laissé beaucoup de traces là-bas. La cuisine haïtienne est plutôt typique de cette région du monde, avec beaucoup de poulet, de riz, de haricots, de la friture, du piment… Et puis au milieu de tout ça, les spaghettis du petit-déj’.

Haïti ou les spaghettis du petit déj'
La devanture de l’épicerie Dieu Tout Puissant – © 180°C – Photographie Camille Oger

Les spaghetti saucisse, classique aussi aux Philippines
Le grand classique, c’est le spaghetti saucisse. Des spaghettis, un peu de ketchup ou de concentré de tomates, quelques aromates, et des saucisses à hot dog en rondelles. Ils m’ont beaucoup rappelé les spaghettis des Philippines, sauf qu’aux Philippines, ils sont beaucoup plus sucrés, et ils sont principalement consommés pour le goûter plus qu’au réveil. Aussi, la recette philippine est absolument invariable, alors que les Haïtiens ne sont pas forcément mariés avec les saucisses – on fait avec ce qu’on a – et les remplacent parfois par du hareng saur, de la morue, voire rien du tout.

Ce qui est sûr, c’est que ces deux plats similaires – le spaghetti saucisse haïtien et les spaghettis à la pinoy – ont la même origine : les États-Unis, et pas l’Italie, contrairement aux pâtes que l’on mange en Argentine et ailleurs dans le Cône Sud. Pas étonnant, de fait, de retrouver des spaghettis (avec plus ou moins de saucisses dedans) partout où les américains sont passés (ou restés) au cours du XXe siècle : en République dominicaine, à Puerto Rico, à Hawaii…

Souvenir de l’occupation américaine
Mais c’est à Haïti qu’ils sont le plus courants, plus encore qu’aux Philippines, où ils sont pourtant déjà omniprésents. C’est un plat fondamental, adoré des mômes comme des vieux, qui semble faire partie du patrimoine national depuis toujours, mais qui n’a en fait été adopté qu’au moment de l’occupation américaine, entre 1915 et 1934. C’était la grande mode des pâtes en Amérique à cette époque, surtout les macaronis et les spaghettis. Ces denrées voyageant bien, elles accompagnaient les Américains un peu partout où ils allaient embêter des gens.

Quand les locaux cuisinaient pour les troupes, ils leur préparaient des plats avec ce que les soldats avaient apporté : des pâtes, du ketchup, et de la viande en boîte – du corned-beef ou des saucisses à hot dog que les Américains appellent Vienna sausages ou « saucisses de Vienne », proches des saucisses de Strasbourg et de Francfort. La morue et le hareng saur, ce sont des substituts 100% haïtiens, mais globalement, la version préférée aujourd’hui est clairement celle à la saucisse.

Le petit déjeuner des champions
C’est un plat nourrissant, une bonne dose de glucides pour commencer la journée, d’où son succès au petit déjeuner. C’est peu cher, surtout si on omet les saucisses. C’est relativement vite préparé – la cuisson du riz est bien plus longue et technique -, à partir d’ingrédients qui se conservent toute la vie ou presque, bref, c’est pratique.

Dans un pays où les questions alimentaires sont souvent un problème, le spaghetti saucisse a de nombreux avantages. En plus, c’est un plat aux goûts faciles : tout le monde l’aime. Et comme dirait Loussaint, mon copain haïtien aux gros muscles à qui je demandais ce qu’il mangeait pour favoriser le développement d’une telle masse musculaire : « Pour les muscles, je mange des spaghettis. C’est naturel ».

 

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