Jacques Pourcel, « Sens dessus-dessous »

Jacques Pourcel

Si on ne les présente plus, ce n’est pas seulement parce que Laurent et Jacques Pourcel sont deux cuisiniers émérites, mais aussi parce qu’ils ont l’incroyable caractéristique d’être frères jumeaux et de se ressembler comme deux gouttes d’eau. Et il faut croire que cette proximité a porté ses fruits, devenant à 33 ans seulement les plus jeunes chefs triplement étoilés de l’histoire du Guide Rouge au Jardin des Sens, leur premier restaurant de Montpellier. Fermé en 2016 pour leur permettre de se concentrer sur d’autres projets et de voyager, leur table désormais mythique a cet été connu une seconde naissance. Se réincarnant au sein de l’Hôtel Richer de Belleval, un bâtiment magnifique datant du XVIIe siècle situé au cœur du centre-ville, elle affiche une carte entièrement renouvelée ancrée dans la cuisine méditerranéenne. Rencontre avec Jacques Pourcel, qui l’espace d’un instant a quitté son frère Laurent.

Bonjour Jacques Pourcel, comme beaucoup de gens certainement, nous trouvons fascinant que vous travailliez en duo avec votre jumeau. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez toujours fait depuis petits, cuisiner à deux ?

Jacques Pourcel : On ne s’est jamais vraiment quittés. Depuis très jeunes, nos parents ont d’ailleurs cultivé notre gémellité, jusqu’à notre tenue : on était encore habillés pareil à 14 ans ! De fait, on passait beaucoup de temps ensemble et on avait les mêmes loisirs, parmi lesquels faire du vélo, mais aussi préparer des gâteaux après l’école. Des choses simples – des crêpes, des cakes – mais qui ont très tôt nourri notre fibre culinaire. On a aussi eu la chance d’avoir un restaurant étoilé Michelin dans notre village, juste à côté de la maison de nos parents, dans lequel on allait aider dès qu’on le pouvait, le week-end. C’est de cette manière qu’on a lancé notre
carrière ! Cependant, nous n’avons pas tout de suite travaillé ensemble. On a fait l’école hôtelière en années séparées, et on a ensuite suivi un parcours différent les 7 ou 8 premières années. Nous conservions toujours l’objectif de nous retrouver, à Montpellier, la capitale de la région Languedoc-Roussillon, dans laquelle on percevait beaucoup de potentiel.

Est-ce que vous êtes parfois en désaccord, vous avez des envies différentes ?

Jacques Pourcel : Pour nous, être jumeaux est un énorme atout. On connait peu de différends parce qu’on a les mêmes goûts, on ressent les choses de la même façon – malgré des caractères qui peuvent être différents. On n’a pas besoin de beaucoup se parler pour se comprendre car on cuisine de façon relativement similaire. Quand je fais une recette, je sais ce qui va plaire à Laurent ou pas, ce qu’il rajouterait. C’est comme ça qu’on fonctionne, et ça nous a permis d’avancer très vite.

Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

JP : Notre principale source d’inspiration est évidemment le terroir méditerranéen. On a toujours eu le regard porté vers le sud et la mer, à côté de laquelle on a grandi. Notre mère nous emmenait deux fois par semaine chercher les coquillages et les poissons à l’arrivée des bateaux au port. On a ça dans nos gênes. Par la suite, on a également beaucoup été influencés par nos voyages à l’étranger ; on a d’ailleurs désormais plusieurs restaurants en Asie.

Votre parcours a également été marqué par la rencontre avec de grands chefs ; lesquels ont le plus compté ?

JP : Plusieurs grands chefs nous ont influencés ; Pierre Gagnaire dans mon cas, pour qui j’ai été chef pâtissier pendant deux ans au début de ma carrière, et Michel Bras pour Laurent. Nous avons eu la chance d’arriver dans ces maisons en pleine ascension, en quête d’étoiles, dans un environnement très créatif.

Vous avez-vous-mêmes rapidement accédé au saint graal des 3 étoiles Michelin, comment avez-vous géré cette situation dans laquelle l’élève semble avoir dépassé le maître ?

JP : On a eu la chance de grimper très vite, peut-être même trop vite. On a ouvert le premier restaurant quand on avait 24 ans, quelques années après on avait déjà les étoiles, les toques, les récompenses.

On était presque trop jeunes pour connaître ce succès d’un coup, parce que fatalement après on s’est ennuyés… on avait déjà tout !

Et on s’est rapidement enfermés dans des codes de restauration gastronomique un peu lourds. C’est pour cette raison qu’on est partis voyager, à la découverte du monde. On y a fait des rencontres incroyables, qui nous ont permis d’ouvrir plusieurs restaurants à l’étranger. Des choses qu’on n’aurait jamais vécues si on était restés enfermés dans nos 3 étoiles à Montpellier.

Jacques Pourcel
À gauche, tarte givrée à la tomate, à droite, Jacques Pourcel finalise un assemblage de thon rouge, navet mariné et miel au foie gras. – © 180°C – Emmanuel Laveran

Aujourd’hui, où en est le groupe Château-Pourcel ?

JP : À date, le groupe compte 10 établissements, dont 5 en France répartis entre Montpellier et Paris, et 5 à l’étranger : à Tokyo (le restaurant va d’ailleurs fêter ses 20 ans !), Colombo (Sri Lanka) et Ho Chi Minh (Vietnam). Et nous pensons en rester là. 10 restaurants, c’est déjà bien ; plus, on n’arriverait plus à s’en occuper correctement.

Vous avez notamment décidé de rouvrir le Jardin des Sens à Montpellier, pour le plus grand plaisir des riverains. Est-ce que c’est important pour vous de contribuer à l’attractivité de la ville sur le plan gastronomique ?

Ça fait 34 ans qu’on est à Montpellier (au travers des restaurants Le Jardin des Sens mais aussi « Terminal#1 » et « Insensé » dans le musée Fabre, NDLR), donc on y est forcément attachés. Et une ville doit avoir des bonnes tables, parce que son attractivité passe aussi par la gastronomie. Mais nous sommes fiers de notre métropole : Montpellier bouge, avec quatre établissements étoilés au dernier Guide Michelin. On a également beaucoup de bonnes brasseries qui valent le détour.

Vous travaillez beaucoup avec des producteurs locaux pour le Jardin des Sens, comment organisez-vous votre travail de sourcing ?

En fermant le Jardin des Sens il y a 5 ans, on a perdu notre réseau de petits producteurs ; parce que nos autres restaurants de Montpellier sont plus grands (350-400 couverts / jour) et que les producteurs ne pouvaient pas suivre en termes de quantités. Mais avec la réouverture du restaurant gastronomique le Jardin des Sens, on a pu renouer avec les petits producteurs de la région. On est partis à la recherche de nouveaux artisans, de petits paysans, de pêcheurs ; certains nous ont d’ailleurs sollicités d’eux-mêmes. On prend un grand plaisir à travailler avec eux. Laurent surtout est en contact avec eux quotidiennement.

Avez-vous (re)découvert des produits d’exception dans la région, que vous avez particulièrement plaisir à travailler ?

JP : On a une région avec un terroir assez fabuleux et des produits sauvages insoupçonnés tout proche de Montpellier : des Saint-Jacques de Méditerranée, des crevettes du Grau-du-roi, des fruits sauvages…

Quand on se donne la peine de chercher, on trouve des choses extraordinaires.

D’ailleurs au sein de notre nouveau menu « Dialogue avec notre Méditerranée », on propose un plateau de coquillages complètement déjanté – avec des oursins, des couteaux, des palourdes… Le tout retravaillé, repensé, mais qui tire sa source dans la qualité exceptionnelle des produits de la région.

Vous avez récemment obtenu 4 toques au Gault et Millau pour le Jardin des Sens. Est-ce que la prochaine étape c’est le retour vers la 3ème étoile au Michelin ?

JP : À 57 ans, on est très sereins sur le sujet. On a déjà plus ou moins « tout vu », « tout gagné ». On a rouvert le restaurant par passion, pas par nécessité : ce n’est ni une question d’argent ni de notoriété. Bien sûr, les toques et les étoiles nous font plaisir, ainsi qu’aux équipes qui travaillent avec nous, mais ce n’est pas notre objectif premier. Si le guide Michelin suit, c’est bien, sinon le restaurent est déjà complet sans eux depuis l’ouverture ! On a envie de faire plaisir avant tout, de faire vivre une expérience aux clients.

D’ailleurs l’expérience que vous proposez à vos clients au Jardin des Sens n’est pas que celle de votre cuisine, l’hôtel au sein duquel le restaurant s’est réincarné étant classé monument historique et accueillant une galerie d’art. Dans quelle mesure patrimoine et arts dialoguent avec la gastronomie ?

JP : En effet, beaucoup de clients sont autant bluffés par l’endroit que par l’assiette. Le patrimoine est très important pour nous, et particulièrement l’Hôtel Richer de Belleval, qui est l’ancien Hôtel de Ville de Montpellier ! De fait, les Montpelliérains y sont très attachés, car ils y ont connu beaucoup d’événements (mariages, célébrations…). C’est un lieu qui a une âme, une histoire ; il se passe quelque chose à l’intérieur, il y a beaucoup de bonnes vibrations. Quant à l’espace d’exposition, il est dédié à l’art contemporain. En effet, notre but était de mettre en valeur le lieu, tout en lui donnant une touche de modernité. Et je pense que le pari est réussi !

Pour terminer, est-ce que vous pourriez nous parler de votre petit dernier, qui vient d’ouvrir à Paris ?

JP : Oui, il s’agit de Mama Sens, qui a ouvert le 26 novembre en plein cœur des Galeries Lafayette Haussmann. On l’a pensé comme un lieu hybride – avec un café, une épicerie et un restaurant – ouvert toute la journée de 10h à 20h. Les produits et plats proposés sont évidemment 100% méditerranéens. C’est très frais, coloré : on y va pour manger une pizzetta, des croquetas, un tajine de légumes… Un voyage dans le sud depuis les Galeries Lafayette !

Lucie Truchet

Jacques Pourcel, « Sens dessus-dessous »

Le Jardin des Sens
Place de la Canourgue
34000 Montpellier
04 99 66 18 18 // contact@hotel-richerdebelleval.com
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