La joue de bœuf de Cyril Attrazic

Cyril Attrazic
© 180°C - Photo Cyril Attrazic

La joue de boeuf, ce morceau si tendre et délicat lorsqu’il est bien préparé, a été délaissé, boudé des cuisines pendant très longtemps. Considéré à tort comme un abat peu digne d’intérêt, on s’en régale pourtant aujourd’hui de tas de manières différentes : en pot-au-feu, en bourguignon, en cocotte, au cidre, en daube, en civet, en parmentier, en ragoût longuement confit… Mais personne, à notre humble connaissance, ne travaille la joue de bœuf comme Cyril Attrazic, dont nous vous parlions déjà ici, dans son restaurant lozérien.


À l’heure où la cuisine se végétalise, le chef étoilé installé à Aumont-Aubrac attache une importance particulière à la viande et au bétail. Sur ses hauts plateaux, ancrés dans la tradition d’Aubrac, se pratique un élevage raisonné qu’il veut continuer à valoriser, quand bien même on dégusterait aussi chez lui des créations à base de fleurs des prairies ou de champignons des forêts voisines. Rencontre avec un chef engagé dans une démarche locale qui sort des cadres, et qui pourrait bien devenir, à l’image des Bras autrefois, l’une des attractions majeures du Centre de la France.

Bonjour Cyril Attrazic, que pouvez-vous nous dire à propos de votre fameuse joue de bœuf ?
J’ai toujours travaillé la joue de bœuf, nous avons toujours eu ce produit en cuisine. Un jour, nous nous sommes amusés à la repenser de plusieurs façons différentes. Dans cette entrée, en l’occurrence, on la déshydrate ! Pour ce faire, on réalise une cuisson du bœuf assez classique avec du vin rouge, du jus, une garniture aromatique… Une fois ces étapes derrière nous, on la laisse décanter, on l’effiloche et on la déshydrate. Pour finir, on la met en étuve pendant plusieurs semaines, à 60, 70 degrés.

La joue de bœuf de Cyril Attrazic

Comment est effilochée la viande ?
On l’effiloche sur du papier, et les différents morceaux se déshydratent, ce qui leur confère des saveurs un peu terreuses. Une femme originaire d’Afrique me disait que cette technique lui faisait penser à son pays d’origine. La déshydratation s’avère une façon de conserver la viande pratiquée dans d’autres cultures… 

Comment assaisonnez-vous ce bœuf ?
Nous fabriquons du poivre fermenté, c’est du poivre frotté à la fleur de sel, le sel et le poivre fermentent ensemble. C’est très aromatique, on le sent vraiment, c’est très poivré. L’intérêt, c’est qu’au début du repas, ce plat ouvre le palais. Ce qui fait de lui un plat très puissant. Comme le bœuf est sec, nous ajoutons du lait caillé dans lequel nous incorporons un peu de mascarpone maison pour obtenir une texture fondante, ramener de l’humidité… Le matin, on ramasse de petites herbes fraîches, pimprenelle, achillée, thé d’Aubrac, fleur de mauve, cistre, amarante… ce qu’on trouve dehors, on ajoute des baies, des myrtilles aigre-doux et des champignons. On incorpore de l’ail noir également, qu’on fabrique nous-mêmes…L’idée c’est que chaque bouchée apporte des saveurs différentes. L’objectif, c’est aussi de poser le plat et que les gens ne trouvent pas ce que c’est : en général, c’est ce qui se passe. Par l’apparence de l’assiette, ils pensent toujours à quelque chose de très végétal…alors que c’est de la protéine, c’est de la viande d’Aubrac !

Le bœuf que vous servez, a-t-il une histoire particulière ?
Depuis trois ans, nous avons mis en place notre propre élevage de bœufs. Notre production comporte des petits mâles castrés qu’on engraisse pendant 3 ans.

J’insiste sur le fait que ce sont des Bœufs, avec un grand « B ». Car la viande que l’on trouve en boucherie, dans 90% des cas, c’est de la vache…

Nos bœufs sont élevés juste à côté d’ici par la famille de ma femme Karine. Les bœufs sont engraissés dans de bonnes conditions, ils sont en bonne santé ! Nous respectons leur équilibre alimentaire. Leur alimentation est précise à base de lait, de colza, et beaucoup de cistre puisqu’ils estivent deux fois en trois ans. Les estives durent la moitié de l’année, elles ont lieu de mai à octobre/novembre. Pendant cette période, les bœufs sont sur les plateaux, dans les prés, et mangent des herbes au grand air. Une fois par mois, nous leur faisons faire une cure d’huile de foie de morue. Cette cure est importante car elle est thérapeutique, elle leur désengorge l’estomac, leur redonne de l’appétit. Elle les aides à manger plus. Ce genre de cure, très riche en vitamine D, mais aussi en vitamine A et en oméga 3, est d’ailleurs aussi conseillé pour les humains !

Et vous achetez les bœufs petits?
Oui. Auparavant, nous ne gardions que les femelles et les petits mâles devaient partir en Italie. Les éleveurs ici ne valorisaient pas la finition des animaux… aujourd’hui nous leurs demandons de nous réserver une vingtaine de bœufs chaque année. Chez Linette, notre bistrot, nous nous servons des avants dans les burgers, pour les bolognaises maison, les plats du jour… A la brasserie on utilise les côtes, les basses-côtes, et d’autres morceaux. Et pour ce qui est du restaurant gastronomique, on garde les filets, les faux-filets, la joue de bœuf, et toutes les pièces les plus nobles.

Comment sélectionnez-vous les bœufs au départ ?
Dans un premier temps on va les voir. Une centaine de veaux naissent tous les ans, et il y a toujours une cinquantaine de mâles et une cinquantaine de femelles. Le nombre de veaux lors des naissances est toujours équilibré. Ce qui compte, c’est que nous en gardions une vingtaine et aussi que tout ce qui leur est donné à manger est produit sur l’exploitation. Ils sont complètement autonomes au niveau de l’alimentation et donc tout est maîtrisé !

La joue de bœuf de Cyril Attrazic

Restaurant Cyril AttrazicChez Camillou
10 route du Languedoc
48130 AUMONT-AUBRAC
Restaurant : +33 (0)4 66 42 86 14
Hôtel : +33 (0)4 66 42 80 22

Plus d'articles de Emmanuel Laveran

La fleur de courgette du chef Philippe Mille

Au gré de nos pérégrinations de saison, on vous fait découvrir une...
Read More