Cyril Attrazic, l’Aubrac pour territoire

Cyril Attrazic - Chez Camillou
Le chef Cyril Attrazic du restaurant Chez Camillou - © 180°C - Photograhie Éric Fénot

Dans un monde culinaire qui encense les légumes, Cyril Attrazic aurait pu ne pas suivre le mouvement, lui qui vit sur un terroir où la viande d’Aubrac règne en maître. Par conviction et sans jamais avoir abandonné son terroir, dans son restaurant “Chez Camillou”,  il a intégré dans sa cuisine du végétal qu’il a déniché à 1 heure 15 de son village.

Aumont-Aubrac en Lozère, il est 5 heures du matin. Comme tous les samedis de l’année, Cyril Attrazic s’extirpe de son lit. Dans trente minutes, départ pour le marché de Lodève dans le département voisin de l’Hérault. Pourquoi si tôt, pourquoi si loin ? Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est que l’Aubrac n’est pas une terre de maraîchage mais d’élevage.
Ici, à 1 100 mètres d’altitude, il est compliqué de faire pousser des légumes. Il n’est pas rare qu’il neige en mai, quand dans la plaine les premiers radis sont déjà récoltés et dégustés.

Cyril Attrazic - Chez Camillou
L’Aubrac, avant tout une terre d’élevage – © 180°C – Éric Fénot

La deuxième, parce que, dans les villes voisines, Cyril ne trouve pas en un seul lieu l’ensemble des produits dont il a besoin pour le restaurant gastronomique étoilé au guide Michelin, la brasserie Le Gabale et le bistrot Chez Linette. Et il se refuse à parcourir des dizaines de kilomètres pour aller chercher des tomates à Mende, des salades à Marvejols ou des melons à Saint-Chély-d’Apcher :

Bonjour l’empreinte carbone !

Par le passé, il lui est arrivé d’aller à Millau dans l’Aveyron, à une heure de route, mais, compte tenu des volumes dont il a besoin et de la diversité qu’il recherche, il a toujours été obligé de compléter son marché par d’autres points de chute sur la route du retour. Il y a aussi Rodez, toujours dans l’Aveyron : « Le marché est sublime mais tous les chefs de la région s’y rendent et, pour être sûr de récupérer le meilleur des productions, il faut arriver de plus en plus tôt. Certains confrères achètent au cul du camion alors que rien n’est encore déballé. Je ne suis pas fainéant, mais si je veux être là autour de 4 heures 30, cela sousentend que je parte de chez moi vers 3 heures. »

La troisième raison est le fait du hasard. Ami avec le vigneron Julien Zernott du Domaine du Pas de l’Escalette, à Poujols, en appellation terrasses-du-larzac, Cyril se retrouve il y a un peu plus de quatre ans à table au domaine.
Parmi les plats mitonnés par Julien et son épouse, Delphine, de nombreux légumes. Cyril s’étonne de la qualité et de la variété. Julien lui parle du marché de Lodève et des légumes de Marc Claeys, maraîcher à Bessan, dans l’Hérault. Ni une ni deux, les présentations sont faites autour d’un café un samedi matin à Lodève et, depuis, tous les samedis aux aurores Cyril prend la route.

Cyril Attrazic - Chez Camillou
Le chef chez son mi, le vigneron Julien Zernott, domaine du Pas de l’escalette – © 180°C – Éric Fénot

Aumont-Aubrac est un village étape posté au bord de l’autoroute A75. Lodève est également au pied de l’autoroute. De porte à porte, Cyril ne met qu’1 heure 15 pour aller faire son ravitaillement de la semaine :

Mon bilan carbone est bien meilleur avec une seule sortie hebdomadaire, alors qu’avant soit je faisais plusieurs déplacements, soit je me faisais livrer. C’est confortable de rester à la maison et d’assister au ballet des livraisons, mais, aujourd’hui, est-ce vraiment dans l’air du temps de poursuivre dans cette voie ?

Variété et qualité
5 heures 30, départ pour Lodève. Cyril Attrazic part toujours avec quelqu’un. Si c’est une période de vacances scolaires, son fils Yanis vient avec lui. Sinon, il choisit une personne de la brigade : « C’est un moment privilégié qui permet pendant le trajet et sur le marché de faire plus ample connaissance, d’échanger sur le travail, de faire passer des messages, dans les deux sens. » Arrivé à Lodève à 6 heures 45, la première bise est pour Cathy, l’épouse de Marc Clayes, et pour leur fille Lola. Elles ne sont pas encore complètement en place, ce qui permet à Cyril de faire son choix. Il y a d’un côté les cagettes qui correspondent à sa commande passée la veille par SMS et, de l’autre, le reste de la production familiale qui peut susciter des envies au chef : « J’achète ici environ 80 % des légumes et des herbes aromatiques dont j’ai besoin pour la semaine. Tout ce qui est livèche, coriandre, verveine pour mon plat d’escargots et morilles, ciboulette, persil, il n’y a qu’ici que je trouve mon bonheur. »

Cyril Attrazic, l'Aubrac pour territoire
Dans son périple gourmand, Cyril se rend également à Massiac, dans le Cantal, chez Samy, son producteur de légumes bio et cueilleur d’herbes et de plantes sauvages – © 180°C – Éric Fénot

Direction ensuite l’étal de Vincent Jover, son poissonnier mareyeur basé à Sète. Auprès de Vincent, Cyril ne prend que du poisson de Méditerranée parce que, selon lui, il est aujourd’hui totalement incongru de faire venir du poisson de Bretagne ou de Normandie, même s’ils sont d’excellente qualité. Le temps que Vincent prépare les poissons, Cyril se rend chez Papy : « Tout le monde l’appelle comme ça, je ne suis même pas certain de connaître son nom de famille. » Papy est son fournisseur officiel de brioche à la fleur d’oranger dont il se sert pour un dessert au restaurant gastronomique, de pain au levain pour le pain perdu de la brasserie et les petits déjeuners de Chez Linette. Papy n’étant plus très jeune, Cyril rédige lui-même la facture et paie sur place avant de rejoindre Mme Rolland et ses deux enfants chez qui il trouve les fruits de saison, abricots, pêches, cerises, brugnons et fraises. Ces dernières sont si généreuses qu’il les farcit de crémeux à l’oseille. Chez le voisin, Franck Pharipou, Cyril achète les asperges puis les melons qui prennent le relais quelques semaines plus tard. Il est 7 heures 40, le temps du premier café. Un tour chez son producteur d’huîtres de l’étang de Thau pour faire le plein de plates sauvages, de quelques moules et Cyril repasse chercher sa marchandise chez Vincent, son poissonnier, avant un dernier arrêt chez le fleuriste…

Deux entorses au programme
S’il ne le croise pas sur le marché, Cyril Attrazic se rend à quelques kilomètres de Lodève sur la commune Les Plans, chez Sylvain Miñana, son pisciculteur, qui le fournit en ombles chevaliers. Jamais l’expression « pour vivre heureux, vivons cachés » n’a autant collé à une personne, ou plutôt à un couple, car chez Poissons et Passion, Sylvain travaille avec sa compagne, Najiba, dans un site époustouflant de beauté, au bout du bout, niché dans une vallée encaissée entre le massif volcanique de l’Escandorgue et le plateau du Grézac.

Ici, point de rivière détournée pour recueillir l’eau mais simplement de l’eau de source qui descend des massifs directement dans la pisciculture. Sylvain n’est pas peu fier de la qualité de l’eau : « Je fais régulièrement des prélèvements que j’envoie au laboratoire. Taux de dioxine, zéro, taux de PCB, zéro. »
Lorsqu’il reprend la pisciculture en 1999, son prédécesseur ne produisait que de la truite arc-en-ciel depuis 1967. Sylvain et Najiba en font encore un peu mais ils ont jeté leur dévolu sur la truite fario et l’omble chevalier qui a été introduit ici en 2004 à partir d’alevins achetés dans les Pyrénées. Le couple assure tout, de la naissance à la vente mais point de produits dérivés type terrines ou mousses, ils ne sont pas équipés pour cela et, surtout, l’omble chevalier demande beaucoup d’attention : les journées sont déjà bien remplies. Les techniques d’élevage – il faut compter entre douze et dix-huit mois pour obtenir un omble chevalier commercialisable – sont les plus naturelles possible.

Cyril Attrazic - Chez Camillou
Entre le massif de l’Escandorgue et le plateau du Grézac, la pisciculture de Sylvain Miñana fournit en omble chevalier et en truite, un certain nombre de chefs étoilés. – © Éric Fénot

Et, même s’ils n’affichent pas le label bio, leur production l’est bien, à commencer par la nourriture sans farine animale complétée par des micro-organismes issus des sources mais aussi des insectes et des débris de végétaux.

De ce paradis, où les bassins sont conséquents, sortent 10 à 12 tonnes de poisson vendues aux professionnels et aux restaurateurs à condition qu’ils aillent les livrer sur une plate-forme logistique. Sylvain ne le claironne pas, mais Cyril nous glisse l’information dans l’oreille : « Parmi ses clients, il y a de nombreux étoilés Michelin avec souvent deux voire trois étoiles. » Personne ne sait comment il les prépare mais, ce qui est certain, c’est que Cyril travaille l’omble chevalier avec un sabayon au café et du chou-fleur. La seconde entorse est plus au nord… à Massiac, un village que l’on surnomme « le verger du Cantal ».

Cyril Attrazic est tombé sous le charme d’un forçat du légume, un certain Samuel, plus connu sous le nom de Samy. Enfin, c’est comme cela que sa chérie, Sandrine, l’appelle. Ce dernier travaille à 80 % de son temps pour le conseil général et, le matin très, très tôt ou le soir très, très tard, il s’est mis en tête de cultiver des légumes labellisés AB et estampillés Nature & Progrès, puis d’aller voir les chefs pour leur proposer ses différentes variétés issues de plants non hybridés qu’il achète notamment chez Kokopelli. Cyril est admiratif de cette force de la nature bâtie comme un rugbyman. Sur 1 hectare réparti en 3 parcelles, il fait pousser deux variétés de haricots verts, de l’oseille sauvage, une quinzaine de salades, quatre variétés de pommes de terre, une dizaine de tomates, sept de carottes et quatre de betteraves pour ne citer qu’elles. Quand on demande à Samy combien de variétés il cultive réellement, il lève les yeux au ciel et soupire : « Je n’en sais vraiment rien. » Et quand le soleil tape trop fort sur Sabatey, l’une de ses parcelles, il traverse le ruisseau qui coule le long et s’enfonce dans un bois. Pour avoir dévoré tous les livres de François Couplan, le célèbre ethnobotaniste, il est incollable sur la cueillette sauvage.

Cyril Attrazic - Chez Camillou
À Massiac, dans le Cantal, Samy est à la fois producteur de légumes bio et cueilleur d’herbes et de plantes sauvages. – © Éric Fénot

En quelques minutes, son panier se remplit de benoîte, d’ail des ours, de berce, d’onagre, dont la racine a le goût de jambon braisé quand elle est cuite, et de polypode, la reine des fougères dont la racine à la saveur réglissée entre dans la composition d’un plat de Cyril, une truite fario, des petits pois, des févettes et une crème de polypode. Pour le moment, Samy ne vit pas de ce second métier mais il est fier de travailler pour des chefs qui, pour l’aider et parce qu’ils comprennent qu’il n’a pas une minute à lui, lui proposent souvent de ne pas perdre du temps en livraisons longues et coûteuses. Ils se déplacent ou font la moitié du chemin.

Cyril vient par exemple à sa rencontre à Saint-Flour, le temps et le coût de l’essence sont ainsi partagés. Et comme le souligne Cyril : « C’est toujours plus sympa de papoter cinq minutes avec son producteur que de signer un bon de livraison à un chauffeur-livreur. »

© 180°C – Texte Philippe Toinard / Photographies Éric Fénot

Cyril Attrazic, l'Aubrac pour territoire

RESTAURANT CYRIL ATTRAZICCHEZ CAMILLOU
10 route du Languedoc
48130 AUMONT-AUBRAC
Restaurant : +33 (0)4 66 42 86 14
Hôtel : +33 (0)4 66 42 80 22

 Reportage extrait de notre livre Les Incontournables 

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