Olivier Nasti, traqueur de nature

Olivier Nasti Le Chambard
Le chef Olivier Nasti prélève quelques bourgeons de sapin pour agrémenter sa cuisine - © 180°C - Éric Fénot

Il serait né en Bretagne, il ne travaillerait que les poissons. Il serait né dans le Limousin, il se consacrerait à la race bovine locale. Mais voilà, Olivier Nasti est né en Franche-Comté et a été adopté par l’Alsace. Entre vignes, lacs et montagnes, il n’a pas mis longtemps à trouver un positionnement culinaire qui lui sied et dont il ne se détourne que très rarement.

Il n’est pas né ici et pourtant, à l’écouter parler, on décèle cet accent si particulier. Avec le temps, il a épousé la tonalité alsacienne, mais pas que. Il s’est aussi fiancé avec l’Alsace. Ce double étoilé Michelin et meilleur ouvrier de France 2007 est originaire du Territoire de Belfort où il a grandi en rêvant de devenir paysan puis boulanger. Pour sa mère, comptable, ces métiers n’étaient pas assez nobles. Il finira quand même par la convaincre de s’aventurer dans les métiers de bouche en entrant au Château Servin, la table gastronomique de l’époque sur laquelle deux étoiles Michelin scintillaient. Nous sommes au début des années 1980 et Olivier Nasti se frotte aux casseroles et aux fonds de sauce puis traverse la frontière qui le sépare de l’Alsace pour rejoindre des maisons comme Schillinger, à Colmar, ou l’Auberge de l’Ill, à Illhaeusern. En 1993, il s’installe au Caveau d’Eguisheim avant de reprendre, en 2000, Le Chambard, à Kaysersberg, petit village de 2 700 habitants, élu en 2017 « village préféré des Français », comme Eguisheim en 2013, dans l’émission éponyme animée par Stéphane Bern sur France Télévisions. À l’époque, Le Chambard est une vieille institution récompensée par deux étoiles au guide Michelin en 1935 et dont on dit que le chef aurait inventé la truite aux amandes.

Olivier Nasti Le Chambard
Olivier Nasti est un chasseur et il le revendique. Une grande partie de sa carte est d’ailleurs bâtie en fonction du gibier – © 180°C – Éric Fénot

La saisonnalité de l’Alsace
Traditionnellement, les amateurs de gibier se régalent de rôti de biche aux airelles et champignons sauvages, de lapin à la sauce chasseur, de civet de lièvre ou de terrine de faisan en automne et jusqu’aux fêtes de fin d’année. Sauf qu’en Alsace, les dates de la chasse ne sont pas calquées sur celles du reste du territoire. Ici, les chasseurs ont le droit de prélever du gibier de mi-mai à fin janvier. Pour le chef, la fin du printemps et le début de l’été sont les meilleures périodes : « Certains animaux sortent de l’hibernation, ils se gavent de fleurs, de jeunes pousses, d’une herbe riche et, surtout, ils ne sont pas encore rentrés dans la période des amours pendant laquelle les mâles maigrissent. »

Cuisiner la chasse, c’est le propre de mon terroir que je défends ardemment.

Olivier Nasti est un chasseur et il le revendique. Une grande partie de sa carte est d’ailleurs bâtie en fonction du gibier à l’instar du carpaccio de chevreuil ou de la terrine de gibier et ses pickles qu’il sert, dès la fin du printemps, dans sa winstub à la même adresse que le restaurant gastronomique. Ce dernier affiche, lui aussi, une carte orientée chasse : la tranche de chevreuil d’été, fruits rouges et légumes d’Alsace, le carré de chevreuil aux champignons d’été, bourgeons de sapin et airelles sauvages, la tourte, salade de jeunes pousses d’herbes fraîches et champignons. À la question : « Les clients d’un restaurant doublement étoilé ne sont-ils pas un peu déroutés de trouver du gibier à la carte ? » La réponse d’Olivier est limpide : « Je n’ai pas une clientèle composée uniquement d’amateurs de gibier. Ceux qui viennent n’ont pas d’a priori, ils sont même là parfois pour goûter des plats qu’ils n’auront jamais le loisir de découvrir ailleurs. Cuisiner la chasse, c’est le propre de mon terroir que je défends ardemment. Et les créations varient avec les garnitures et les sauces qui suivent les saisons. Je serais sur une terre d’élevage de bœuf, je le valoriserais mais ce n’est pas le cas. Je cuisine ce qu’il y a autour de chez moi, sans pour autant m’interdire de faire venir parfois des produits de plus loin comme les poissons de mer, la saint-jacques ou la truffe blanche d’Alba. » À écouter Olivier, c’est bien aussi d’être à contre-courant au niveau des dates de chasse : « En Bretagne, un chef digne de ce nom va prendre du temps pour expliquer à son client pourquoi il n’a pas de saint-jacques du 15 mai au 15 octobre, alors que ce même client en a trouvé dans un autre établissement à quelques centaines de mètres, sauf que le chef de cette maison n’a pas indiqué qu’elles venaient d’Écosse ou qu’elles étaient congelées. Avec le gibier, c’est pareil et mon équipe de salle est formée pour répondre aux interrogations des clients. Quand la démarche est expliquée avec finesse et délicatesse, tous les préjugés sautent. »

Olivier passe environ 15 tonnes de gibier par an dont 450 chevreuils. Avec Nicolas Carro, son second, et Charline Ribolzi, sous-chef de la winstub, ils ont suivi une formation pour obtenir tous les agréments pour préparer les viandes et les commercialiser au sein du Chambard : « C’est formidable car nous décidons des découpes. Un fournisseur de gibier vous proposera toujours les mêmes morceaux. Nous, on se met dans la peau d’un boucher et cela nous permet de proposer des carrés, des filets, des épaules, des noisettes. » Il ajoute dans un éclat de rire :

Si on revendique un terroir, il faut aller au bout et savoir tout faire.

Une grande partie des animaux provient de la chasse d’Olivier qu’il pratique du côté d’Orbey, entre lac Blanc et lac Noir, à une quinzaine de kilomètres de Kaysersberg, dans le massif vosgien avec vue imprenable, au lever du soleil, sur la forêt noire. Dans ce paradis silencieux, le chef avance à pas de loup, s’arrête, écoute, inspecte les sols, caresse les troncs des arbres pour s’assurer qu’une bête a dormi là ou y est passée il y a peu. Au bout de ses jumelles, à plusieurs centaines de mètres, un chamois : « C’est un jeune, sa mère l’a abandonné momentanément, le temps qu’elle nourrisse son nouveau-né. » Ce matin, il n’est pas là pour tirer : « Nous, chasseurs, nous avons une obligation de prélever pour réguler. C’est la loi. On ne tire pas au hasard. Il y a des quotas à prendre en considération, un pourcentage de femelles, de mâles, de jeunes. » Et gare à celui qui outrepasse ses droits et qui se fait choper par la patrouille. L’amende peut atteindre des sommes rondelettes.

Olivier Nasti, traqueur de nature
À gauche, Christophe Conreau ne possède qu’un troupeau de 18 vaches. Le lait est immédiatement transformé en munster fermier. Juste derrière l’établissement d’Olivier Nasti, une partie du vignoble de Kaysersberg. À quelques rangs de vigne, le grand cru du Schlossberg.- @180°C – Éric Fénot

Cueillette et pêche en complément
À La Table d’Olivier Nasti et à la winstub, la valorisation de l’Alsace ne passe évidemment pas que par la chasse. Il suffit de jeter un œil sur le plateau de fromages pour comprendre que le chef a intégré l’urgence de défendre le terroir local. Munster fermier de la ferme de Schoultzbach, tomme nature, tomme à l’ail des ours, bargkass (gruyère alsacien) et des dizaines d’autres prouvent la richesse de la région et la volonté affichée du chef de mettre en avant les petits producteurs.
Pour le reste, il a tout ou presque à portée de main. Pour les poissons d’eau douce, il peut compter sur Antoine, le seul pêcheur autorisé à pêcher au filet sur le Rhin : « Avec lui, j’ai un peu de brochets, des gardons que je présente en quenelles ou parfois de l’anguille servie au restaurant gastronomique, légèrement fumée et laquée. »
Et si ce n’est pas Antoine, il y a toujours la pisciculture de François Guidat, à Orbey, qui fournit les truites servies en entrée, marinées, concombres et huile d’herbes fraîches ou en plat avec une sauce matelote côté winstub. Et si ce n’est pas Antoine ou François, il y a… Olivier Nasti. Il a pêché un peu partout dans le monde et quand il a besoin de décompresser, il se trouve un coin paisible pour pêcher à la mouche. Ce n’est pas la pêche la plus reposante mais elle lui permet de se vider la tête ou, à l’inverse, de réfléchir aux plats de demain, au dressage d’un omble chevalier cuit à la cire d’abeille ou à programmer la prochaine cueillette. Ses équipes se rendent presque tous les jours en montagne pour cueillir, qui des airelles sauvages, qui des herbes comme le carvi des prés ou le mélilot, qui des bourgeons pour préparer l’huile de sapin. Olivier a suivi une formation auprès d’un herboriste : « Je ne cueille pas pour faire joli dans l’assiette, ce n’est pas du décoratif. Ce que je cherche, c’est l’aromatique pour un jus, une sauce et avec les outils modernes, on peut maintenant, à partir de ces matières premières réaliser des extractions, des huiles, des poudres, des gels. » Au côté du chef, une autre brigade, celle des cueilleurs du village et des environs. Il y a ceux qui ont leur coin à cassis ou à myrtilles qui entreront dans la composition du plat à base de chamois à la fin de l’été.

Olivier Nasti Le Chambard
Olivier Nasti a installé des ruches dans le jardin de sa maison familiale et suivi une formation auprès d’un apiculteur – © 180°C – Éric Fénot

Il y a aussi les ramasseurs de champignons. Il ne manque que les maraîchers : « L’Alsace n’est pas une terre à légumes sauf pour les asperges. J’adorerais acheter tous mes légumes localement mais je ne trouve pas la quantité suffisante ou la qualité. J’en fais venir une partie de Romain, dans la Marne. Audrey et Benoît Deloffre ne fournissent qu’une poignée de chefs comme Arnaud Lallement, à Tinqueux (51). Ils font pousser leurs légumes en bio mais sans certification, pas moins de 400 variétés dont certaines ont disparu des catalogues. Ils sont surtout épatants en fourniture de mini légumes. » Olivier se lève, il vient justement de recevoir de chez Benoît les plus petites tomates du monde. Il les fixe et cherche comment les utiliser en cuisine, sans artifices, Benoît n’aime pas qu’on dénature son travail : « Voilà typiquement le genre de produit que je m’autorise pour ne pas être complètement enfermé dans mon terroir. Rassurez-vous, ça ne durera pas, la saison de la vraie tomate est courte, l’Alsace reprendra ses droits parce que, l’Alsace, c’est ma patrie. »

© 180°C – Texte Philippe Toinard / Photographies Éric Fénot

Olivier Nasti, traqueur de nature

LA TABLE D’OLIVIER NASTI
9/13, rue du Général de Gaulle
68240 Kaysersberg
Tél. : 03 89 47 10 17
www.lechambard.fr  

 Reportage extrait de notre livre Les Incontournables 

Olivier Nasti, traqueur de nature

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