Veiller au grain :
Les raisins de la colère

raisins de la colère
© 180°C - Photographie Olivier Pascuito

Alors que Santé Publique France et l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation) annonçaient le 19 octobre 2021, le lancement d’une étude nationale – PestiRiv – sur les dangers des pesticides pour les riverains des zones viticoles, c’est sur le terrain judiciaire que ce sujet rebondissait avec l’affaire Valérie Murat et l’association Alerte aux Toxiques face au CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux).

En janvier 2020, Valérie Murat et l’association Alerte aux Toxiques lançaient une collecte de fonds pour acheter des bouteilles de vin de différentes régions labellisés HVE* (Haute valeur environnementale) et financer des analyses de résidus pesticides dans ces bouteilles par un laboratoire. Le 15 septembre, l’association publiait sur son site internet, sous forme d’un dossier de presse et d’un communiqué de presse, les résultats de ces analyses qui soulignaient notamment, que sur 22 bouteilles analysées, 28 substances actives avaient été détectées avec une moyenne de 8 substances actives par bouteille. Par courrier du 23 septembre 2020, le CIVB demandait à Valérie Murat de cesser la diffusion de son dossier de presse et communiqué de presse. Sans réponse de sa part, ce dernier adressait une requête afin d’être autorisé à assigner Valérie Murat et l’association Alerte aux Toxiques.

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Le logo du label HVE

Lourdes peines. Le 25 février 2021, le Tribunal judiciaire de Libourne rendait son jugement dans cette affaire et condamnait Valérie Murat et l’association Alerte aux Toxiques à payer au CIVB, la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral d’atteinte à l’image des vins du Bordelais et d’autres sommes à divers domaines (de 1 euro à 5 000) au titre de préjudice moral. À ces condamnations, le tribunal enjoignait Valérie Murat et l’association Alerte aux Toxiques de supprimer sur le site internet de l’association et sur les comptes des réseaux sociaux la diffusion du dossier de presse et du communiqué de presse, interdisait Valérie Murat et l’association Alerte aux Toxiques de procéder de nouveau à la diffusion de ces documents et ordonnait la publication du dispositif du jugement sur les sites internet de différents médias (Le Monde, Vitisphère…) à ses frais. Face à ces lourdes peines, Valérie Murat faisait appel en mars 2021 mais ce recours au civil n’étant pas suspensif, elle devait, en attendant, payer ces sommes. Mais quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre que le CIVB demandait en septembre dernier, la radiation de l’appel au motif que Valérie Murat ne s’était pas acquittée de la totalité des sommes exigées. La Cour d’appel de Bordeaux a examiné la demande de radiation de l’appel et statuera le 10 novembre.

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Entretien avec Maître Éric Morain, avocat de Valérie Murat et de l’association Alerte aux Toxiques. Éric Morain, défenseur de nombreux vignerons, est également l’auteur du livre  Plaidoyer pour le vin naturel.

Lorsque vous faites appel en mars 2021, aucune date n’avait été fixée par le tribunal ?
Au civil, il existe un calendrier procédural et une succession d’étapes à respecter notamment la remise par les deux parties de leurs conclusions. De notre côté, nous avons rédigé et remis nos conclusions assez rapidement mais la partie adverse a joué la montre. En relevant l’incident que ma cliente ne s’était pas acquittée de la totalité des sommes, ils peuvent demander une radiation de l’appel.

Le jugement du tribunal de Libourne était exécutoire et non suspensif. Parmi les condamnations, quelles sont celles qui ont été exécutées ?
Pour ce qui est du retrait des écrits sur le site de l’association et sur les réseaux sociaux, ils ont été effectifs dès le lendemain du jugement. Quant aux sommes, ma cliente s’en acquitte chaque mois en fonction de ses moyens.

Avez-vous été surpris par cette demande de radiation de l’appel ?
Le CIVB n’a qu’un objectif, faire taire ma cliente, l’empêcher de parler. Ils veulent l’asphyxier dans tous les sens du terme. C’est assez surprenant car des médias ont aussi enquêté sur la certification HVE en reprenant des informations divulguées par ma cliente et aucun n’a été inquiété.

Quels sont les scénarii après que la Cour d’appel de Bordeaux ait statué le 10 novembre ?
Si la cour d’appel rejette la demande de radiation, le calendrier procédural reprendra c’est-à-dire que nous attendrons les conclusions de la partie adverse et cette fois, une date d’audience pourra être fixée. Si la radiation est retenue, ma cliente sera définitivement condamnée.

Est-il exact qu’il est interdit de mettre en place une cagnotte en ligne pour venir en aide à Valérie Murat et à l’association ?
Il est tout à fait possible de mettre en place une cagnotte pour aider une personne à payer des frais de justice. En revanche, il est interdit de mettre en place une cagnotte pour régler des condamnations. Mais rien n’empêche le grand public d’aider, en l’occurrence, Valérie Murat par des dons. Valérie Murat est une lanceuse d’alerte, elle peut et doit être aidé et il est agréable de voir qu’elle bénéficie d’un soutien populaire important.

*HVE : Née du Grenelle de l’environnement en 2008 et porté par les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique, mise en œuvre depuis février 2012, la HVE (Haute valeur environnementale) est une certification qui « garantit que les pratiques agricoles utilisées sur l’ensemble d’une exploitation préservent l’écosystème naturel et réduisent au minimum la pression sur l’environnement (sol, eau, biodiversité…). » Au 1er juillet 2020, 8 218 exploitations agricoles l’avaient obtenu comme l’indique le site internet du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation.

Philippe Toinard – Rédacteur en chef de la revue 180°C

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