Thomas Noble,
furieux de Nature #1

Il y a 2 ans, Thomas Noble revendait son bar à vins à cause de difficultés financières. Aujourd’hui, c’est aux côtés de Jean-Michel Lorain, à La Côte Saint-Jacques, en Bourgogne, qu’il s’éclate à promouvoir et faire découvrir les vins naturels. Abiba, Marine et Nicolas complètent une équipe de sommellerie passionnée par le sujet. Morceaux choisis.

Thomas, racontez-nous d’abord comment vous êtes arrivés jusqu’ici ?
Je commence ma carrière par le lycée hôtelier de Poitiers. Je voulais être sommelier. Après les études, ça se passait dans les grands restaurants. J’ai commencé au Centenaire, un restaurant 2 étoiles dans le Périgord. J’y ai fait mes bases.

Ensuite, je suis rentré en Alsace chez Monsieur Jean Georges Klein qui venait d’obtenir une 3ème étoile Michelin. À L’Arnsbourg, j’ai vraiment découvert la sommellerie. On avait plus de 2000 références de vins, on avait tout en cave ! En une seule journée, on vendait 100 bouteilles et on goûtait chaque vin. J’ai vraiment eu la chance de déguster ce qu’il y a de plus vieux, de plus rare, de plus grand, de plus précieux, des Romanée Conti, de très anciens millésimes de Bordeaux… Tout ce que tu peux imaginer, je l’ai goûté là-bas.

Et ensuite, encore un restaurant étoilé ?
« Oui, ma femme travaillait en salle et elle voulait changer d’air. On s’est retrouvés chez Jean-Paul Jeunet, dans le Jura, une petite maison, différente, et très axée sur les vins locaux que je connaissais mal. Un jour, je rencontre Pierre Overnoy, un viticulteur qui est un peu le pape du vin naturel. Je rentre dans ce milieu-là, je commence à discuter avec des vignerons plus petits que ceux qu’on avait à l’Arnsbourg.

Et làje me mets à m’intéresser aux hommes qui sont derrière les bouteilles…

Entre les services et le weekend, je me suis pas mal baladé dans les vignobles alentour, ça me passionnait.

Thomas-noble-nature-Gazette-180c
Thomas noble dans le vignoble de Chablis – © 180°C Photographie Manu Rodriguez

Et les vins nature, pourquoi y avoir pris goût ?
La vinification naturelle m’est tombée dessus ! Dans certains vins vinifiés le plus naturellement possible, j’ai retrouvé des sensations, des émotions, qu’on ne retrouve que dans les très grands vins.
Certains vins nature ou d’autres, travaillés en biodynamie avec des principes assez sensés, m’ont tout de suite plu. Ils m’ont rappelé la gourmandise de vieux bordeaux magnifiques, d’une Romanée Conti 93, d’un Magnum de La Tache 89… Il y avait des similitudes, pas forcément la même longueur en bouche ni toujours la même puissance, mais de belles similitudes.

Quels vins nature vous ont marqué à ce point ?
« Les Poulsard de Pierre Overnoy, par exemple, m’avaient fait halluciner. Leur concentration, les saveurs de truffe, de fruits, c’était grandiose. Ce sont des vins qui laissent passer des choses, beaucoup d’émotion.

En 2006, ces vignerons-là, ces gens-là, on n’en entendait jamais parler.

Pourtant c’était vraiment top ce qu’ils faisaient, j’étais très étonné. On comptait sur les doigts de la main les sommeliers qui référençaient ces vins, il y avait les mecs de chez Roellinger, de chez Passard, mais c’était tout. Il y avait vraiment des choses intéressantes donc j’ai pris ma voiture et j’ai commencé à « tracer » chaque weekend ! On allait chez tous les vignerons possibles et imaginables. J’en rencontrais plein. Certains vendaient déjà beaucoup à l’étranger mais peu en France. »

Et après le Jura ?
Après le Jura, je me retrouve au Manoir de la Boulaie, chez Laurent Saudeau. Le Chef m’avait recruté car il savait qu’il avait une carte des vins catastrophique. Je regarde la liste. Effectivement, il y a peu de choses que je connaissais (rires). J’étais en pleine « montée nature », lui n’y pipait rien. Je lui promets alors : « vous allez voir, les vins nature, c’est intéressant ».
Il me demande : « mais si je veux racheter des vins d’avant ? »
Je lui réponds du tac o tac : « vous pouvez les commander mais je ne les vendrai pas… »
Il a compris que ce n’était pas une bonne idée. Un truc s’est passé entre nous, il m’a fait confiance. Il a souri, il s’est barré et il a validé toutes mes commandes. On en a acheté pour 60 000€ d’un coup, que du « sans souffre ». On s’est lancés en 100% nature, dans un 2 macarons Michelin !!! »

Il y a encore eu une étape avant votre arrivée ici ?
Oui, après 2 ans, j’ai eu envie d’ouvrir mon bar à vins avec ma femme. On a trouvé un petit local sur les quais à Nantes dans un quartier pourri, l’ancien quartier de la prostitution, assez « craignos ». On a ouvert ce bar à vins et on l’a tenu pendant 7 ans.
Là, j’ai été très extrême, je n’avais plus de limite. On a expérimenté le pire du nature mais aussi le très bon. Le but, ce n’était pas d’avoir des vins gastronomiques. Alors on a bien rigolé mais ça a été très dur financièrement, on n’a jamais réussi à rattraper les 3 années difficiles qui ont suivi l’ouverture. À la fin, on avait une belle petite clientèle mais on n’en pouvait plus, du coup on a vendu.

Et là, tu reviens sur le marché du travail ?
C’est ça, j’ai mis mon cv sur internet et 12h après, Monsieur Lorain me contactait pour un poste de chef sommelier. Je l’appelle et on discute.  Au fond de moi je m’interroge : « quand même, chef sommelier dans une Maison comme La Côte Saint-Jacques, ce sont de sacrées responsabilités… ». Je ne prends pas l’offre comme un jeu, je sais très bien toute la réputation qu’entraîne une carte des vins, surtout en Bourgogne. Du coup, j’hésite. Monsieur Lorain insiste : « vous ne devriez pas tergiverser » me dit-il.
Je le rappelle et lui annonce que je viens, je n’avais rien à perdre. Je vais passer 2 jours, je me dis qu’on verra bien.
J’arrive ici, je discute avec le Chef et il me confie qu’il voudrait faire évoluer les vins qu’il propose, il veut des vins nature ! C’est le mot qu’il fallait prononcer, une manière de renouer avec ce que je faisais avant, ça m’a plu. »

Qu’est ce qui te plaît tant dans les vins nature ?
C’est beaucoup plus passionnant pour un sommelier de travailler des vins vivants que des vins hyper cadrés.  La chimie, dans les vignes, va tuer des levures. En agriculture conventionnelle, tu produis un vin construit, tu as de l’acidité ou pas, tu as des arômes ou pas, mais le vin est bloqué. Tu le bois et tu es content quand c’est bon, point.

Un vin naturel, tu as plus de levures, il est vivant.

C’est assez complexe, il faut attendre, il y a toute une évolution, mais quand tu le sors au bon moment sur le bon plat, à l’aveugle, c’est un festival, il se passe quelque chose.

Et les clients dans tout ça ?
« Depuis que le vin nature est arrivé à la Côte Saint-Jacques, ça marche, les gens sont contents, ils parlent du vin. C’est inévitable avec ces vins-là ! Avec le vin, je ne veux pas qu’on me dise d’un air détaché : « oui, merci, c’est bon… ». Je veux qu’il se passe un truc.
Les clients, aujourd’hui, sont fans : « j’ai adoré », c’est incroyable », « j’ai bu des vins que je ne connaissais pas », « ce vin est fantastique »… tout ce que je veux, c’est qu’à chaque service, il y ait une vraie émotion. »

Quels sont les vins que tu préfères en ce moment ?
Les vins que je préfère : les vins de montagne, la Savoie, le Jura et… l’Auvergne !
C’est quand même génial, il y a des vins magiques, entièrement vinifiés sans souffre et sans intrant…et comme ils sont totalement inconnus, on les propose à l’aveugle !
L’autre jour, on avait besoin de se détendre en sommellerie donc on est parti 2 jours en Auvergne et on a ramené des vins complètement « barges ».

Thomas me montre son mur de vins de montagne naturels, dans la cave, un long pan de mur…
Les Fesses (Domaine de l’Arbre Blanc, Frédéric Gounan), c’est bon ça, c’est très très bon… ce sont des pressurages directs de pinot noir et de sauvignon avec des macérations de pinot gris, vinifiés au sud est de Clermont Ferrand, ça donne un vin orangé, c’est absolument génial… Aujourd’hui, il est impossible de trouver ça dans une cave d’étoilé Michelin. PERSONNE n’en a. Ca viendra parce que c’est très bon, c’est comme du Jean-François Ganevat il y a 10 ans, personne n’en servait !
Et celui-là, Vincent Marie du Domaine No Control. Il produit ses Gamay sur des terroirs basaltiques, c’est fumé, c’est minéral, il y a une matière de dingue, c’est un concentré de volcans, c’est génial ce vin !
Là encore, des cidres d’Auvergne, on termine les repas dessus ! Hell Cider, c’est toujours Vincent Marie, à coté de Vichy, il fait des cidres d’enfer…
Il y a aussi Julien Labet dans le Jura, Dominique Derain, Pierre Fesnals ou Romain Chapuy en Bourgogne, Sébastien Riffault à Sancerre, La Grange de l’Oncle Charles en Alsace, des jeunes qui font de la complantation. Et à côté, à Chablis, on a des choses magnifiques de chez De Moor ou du Château de Béru… »

Thomas-noble-nature-Gazette-180c
Au fond de la cave de la Cote Saint-Jacques, le-
mur du vin nature de Thomas Noble – © 180°C Photographie Manu Rodriguez

Avant l’interview, on avait effectivement goûté aux Alsace de La Grange de l’Oncle Charles, sur un plat d’omble chevalier très réussi. Cuisson millimétrée, vrai travail sur les légumes comme Jean Michel Lorain aime le faire – il leur a consacré un livre de cuisines et une partie des légumes provient de son potager de Joigny – acidité des pointes de citron pour mettre les saveurs en relief… la cuisine généreuse de La Côte Saint Jacques s’est vue magnifiée par un « Kaysersberg 2017 » d’une droiture et d’une minéralité exemplaire. Une espèce d’Alsace modèle comme on aimerait en boire tous les jours.

Pour suivre, le homard bleu grillé, artichauts et piquillos, fut un bonheur de gourmandise. Presque fumé, le homard goût barbecue était accompagné d’un jus de tête concentré relevé de safran. Le Chablis biodynamique d’Athénaïs de Béru (Château de Béru) fit là-dessus l’effet d’une explosion de joie. Rondeur, matière… et recueillement.

Il n’était pas évident pour La Côte Saint Jacques, qui fêtera ses 75 ans l’an prochain, en même temps qu’elle dépassera le seuil des 130 étoiles glanées au Guide Michelin, d’être en avance sur son temps. Mais en matière de vins, elle l’a souvent été. Déjà dans les années 70, Madame Lorain était l’une des toutes premières femmes sommelières de France. Aujourd’hui, c’est Thomas Noble, aidé par Abiba et deux jeunes sommeliers engagés, qui ont déniché une gamme de vins naturels à faire sauter au plafond les amateurs tout autant que les novices.

Vin Dieu que c’est bon !

Thomas Noble,<br/>furieux de Nature #1

La Côte Saint-Jacques – Jean-Michel Lorain
14, Faubourg de Paris
89 300 – Joigny (en Bourgogne)
Tél. : +33(0)3.86.62.09.70
Email : lorain@relaischateaux.com

Plus d'articles de Emmanuel Laveran

Alexandre Couillon écrit le quotidien mer-terre de l’île de Noirmoutier

En 24 heures à Noirmoutier, le chef Alexandre Couillon nous a littéralement...
Read More