En 24 heures à Noirmoutier, le chef Alexandre Couillon nous a littéralement bluffé.
Il nous a étonné par la manière dont il valorise son territoire, par la qualité et la fraîcheur extrême des produits qu’il s’attache à utiliser.
Sa créativité singulière, sa façon de repenser un restaurant gastronomique, nous a décidé à le mettre en avant dans « les Incontournables », le livre qui retrace notre Tour de France des Chefs engagés dans une gastronomie responsable. Avec sa cuisine instantanée, basée sur la pêche des bateaux d’en face et la récolte de ses 2 jardiniers, il est indéniablement l’un des fers de lance de notre sélection. Reportage.
D’abord se lever tôt pour gagner la criée, au bout du port de l’Herbaudière, face au restaurant La Marine. Alexandre Couillon saute dans sa camionnette, comme tous les matins. Il ne parcourt que 500 mètres avant de s’engouffrer sous le hangar d’Oppan Marée, l’Organisation des Producteurs et des Pêcheurs de l’île.
Sitôt sous les néons, alerte, il file d’une caisse de poissons à l’autre. « Va voir les thons blancs aujourd’hui » lui intime le vendeur. Pas convaincu, Alexandre n’en prend pas. Il jette plutôt son dévolu sur de petits calamars brillants, des rougets colorés et des maquereaux luisants. « Regarde cette qualité » me glisse-t-il, surexcité. Trois jolis bars de ligne plus tard, les achats se terminent. Ils suffiront à produire les 40 couverts du jour. Les turbots, les soles et les pagres manquent à l’appel ce Jeudi, tant pis pour eux.
À la Marine, la table 2 étoiles Michelin de Noirmoutier, le passage à la criée se réitère tous les jours.
Tous les jours, le poisson est acheté du matin. Il provient du retour de pêche, du bâtiment d’en face, derrière lequel est posé l’infini, l’Océan. Tous les soirs les frigos de la Marine sont vides, littéralement vides. Tous les jours, Céline Couillon, la femme d’Alexandre, imprime les menus qui varient au gré des arrivages, de la spontanéité et des envies de son Chef de mari.
Après la criée, le poisson est déposé en cuisine. Alors que les commis s’affairent, dès 9 heures, à « désarêter », lever les filets, tailler les pavés, les mettre au sel ou au sucre, Alexandre et moi filons au jardin, distant d’un kilomètre.
Les anciens affirmaient qu’on n’arriverait pas à faire pousser quoi que ce soit ici !
« Mon grand-père était « marin patate », jusqu’à preuve du contraire, seule la pomme de terre était adaptée à notre terre saline. » Le climat particulier et la corrosion ne favorisent pas les cultures mais Alexandre a tenu à relever le défi. Un lopin au milieu de rien, des clôtures pour décourager les jaloux et protéger la basse-cour, un sourcier qui découvre de l’eau douce en sous-sol, voilà en trois phrases à quoi tient un potager sis en terrain hostile. Au début, c’était « voyage en terre inconnue ». Comment allaient réagir les plants ? Rapidement, le compost et la permaculture aidant, la nature a pris le dessus et la vie s’est développée. Aujourd’hui, le potager d’Alexandre n’a rien à envier à celui de Christophe Hay, autre chef Incontournable dont le jardin s’épanouit dans le limon des bords de Loire. En ce début Septembre, déjà les différentes variétés de courges s’accumulent. « On va en produire au moins 1 tonne cette année », nous livre Alexandre. Les salades poussent à leur aise, les courgettes fleurissent encore, les grosses mûres noircissent de bonheur, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. On ne sait plus du tout si l’on est en Juillet ou fin Octobre. Eté et automne se mélangent joyeusement dans une allègre profusion végétale.
Alexandre Couillon récupère 4 caisses de légumes fraîchement cueillis et bondit dans la voiture. « On y va, y’a du boulot ! ». En reportage avec lui, on ne prend pas le temps de musarder et encore moins de s’ennuyer.
Autrefois, bourré d’énergie, Alexandre conduisait sans arrêt. Pour se fournir, il faisait des aller-retours au marché international de Nantes, le Rungis local, situé à 1h30 tout de même de son presque bout d’île. À force de tirer sur la corde, de jongler entre les derniers clients qu’on salue à 1 heure du matin et les levers aux aurores, il a fini par craquer. Un matin, il s’est réveillé en sursaut alors que sa camionnette coupait le terre-plein de la voie rapide, le plaçant en sens contraire sur les voies d’en face… Il a alors compris que travailler différemment devenait une nécessité vitale.
Et si son terroir se trouvait là, devant le restaurant ?
Et s’il se mettait à produire ses légumes et ses fruits ?
Et s’il se contentait de cela, son essentiel, transformer la matière qu’on découvre à sa porte chaque matin ?
Depuis ce jour, dans les cuisines de La Marine, les saisons n’ont presque plus de sens.
Depuis ce jour, pour 20 chanceux par service et pas un de plus, seuls comptent les matins.