Figure de moût :
le sommelier et le hi-tech

Domaine Château d’Esclans
côtes-de-provence
Christian Diani, sommelier hi-tech

La petite histoire : le château d’Esclans installé à la Motte, en Provence, fait exactement parti des domaines qui n’attirent pas une seconde l’attention de votre serviteur : viticulture conventionnelle, 90 % de la production exportée, et, sans doute plus encore, un certain apparat, voire un luxe à classer dans le genre éminent du glacé-chic assez typique de la proche Côte d’Azur et, disons-le aussi, un soupçon ostentatoire. Ne pas se laisser séduire par les marbres brillants et les étiquettes chic est un grand défaut, c’est certain… Mais à un âge canonique, comment se réformer soi-même ? Et, en plus, pourquoi parler de ces domaines « là » alors qu’il y en a tant d’autres plus croustillants, plus attirants ? Face à toutes ces bonnes raisons de fuir à toutes jambes, un motif me pousse à pousser la porte des lieux : ne pas être dogmatique et s’intéresser à une démarche même si, sur le papier, elle n’affiche pas grand-chose sur notre compteur Geiger viticole !

La rencontre
J’arrive à l’improviste dans la sublime, la pétaradante salle de dégustation de 500 m2, et y rencontre Monsieur Christian Diani, sommelier et caviste du lieu (c’est la boutique du domaine. Mais alors, quelle boutique : on se croirait à Bordeaux ! Mais il y a une raison à cela : le propriétaire est Monsieur Sacha Lichine !) Ma qualité de journaliste n’est pas encore démasquée ni connue, pourtant, on me propose aussitôt une dégustation et une visite que j’accepte et jetant ainsi aux orties toutes mes idées préconçues et réticences d’impénitent buveur de vin bio.

Le Domaine
Franchement, de la départementale, ça le fait ! D’un côté le chai ultra moderne et de l’autre, un très joli vignoble s’étageant sur la grande colline faisant face en parcelles bien découpées et ordonnées. Evidemment, quand on s’approche, pas une herbe ne dépasse et les ceps, rangés comme des petits soldats, émergent de la vierge de la terre rouge comme des champignons de Paris : la vigne est très tenue, pas de doute. A ce stade, il faut noter une chose. Ce domaine, propriété de Monsieur Sacha Lichine (XXX) gère sa communication avec un ingénierie aussi pointue que celle qu’on verra au chai… Pourtant, et c’est là que les chose deviennent intéressantes, on me laisse visiter, la vigne et le chai, sans contrainte… Je demande si je peux faire des images, et on m’y encourage. Très favorablement impressionné, je décide de faire le reportage à ce moment… Evidemment, je ne vais pas arpenter les 45 ha du domaine, mais je peux toutefois m’en faire une idée en toute liberté…Une seule limite : la chaleur de cet après-midi de juin qui me liquéfie en quelques minutes…

La vigne
Elle est propre comme un sou neuf : pas une herbe folle, pas un seul brin de quoi que ce soit pour tenir compagnie au rolle, cinsault et carignan. Le jour de mon passage, le chef de culture n’est pas sur les lieux pour m’expliquer comment est structuré le vignoble. Je me fais ma propre idée et tirant mon chapeau pour l’ordre quasi parfait qui règne sur les parcelles. Pour nous qui n’arpentons que des vignes en bio ou biodynamie, l’expérience et le contrastes sont frappants…Mais pas de sentence : qui sommes-nous pour juger du travail des autres ?

Le chai
Déconfit pas la chaleur et manquant de courage (je l’avoue) pour gravir la colline et voir les parcelles les plus hautes, je me rabats sur le chai. Là, à nouveau on me laisse aller et venir à ma guise. J’arpente donc les différentes salles un long moment, puis au détour d’une rutilante cuve inox, je croise un salarié d’une extrême courtoisie qui répondra à toutes mes questions. Pour moi qui ai l’habitude des visites d’usines agro industrielles, cette attitude disponible et sympathique est un bon signe quant au management… Le chai est magnifique, et fait penser à ce qu’on peut voir sur Bordeaux ou en Bourgogne… On ne lésine pas sur les moyens et on voit bien que les investissements sont faits et bien faits. Parlons du tri, par exemple. Premier tri à la vigne, second tri sur tapis puis… troisième tri comme on fait pour les très grands vins, avec une trieuse optique qui écarte ce que l’œil a quand même laissé passer. Le transfert-refroidissement des raisins ? (Si important en vinification des rosés) : deux échangeurs à eau glycolée qui vont permettre d’encuver à froid les raisins récoltés bien frais, et manuellement, à l’aube. Le pressurage ? 4 pressoirs pneumatiques avec réserves d’azote pour s’affranchir des oxydation intempestives… Je passe sur les cuves, la tonnellerie tempérée, sur le contrôle en continue des températures… Bref, c’est vraiment la high tec mais bien pensée, et bien défendue par la personne qui pense d’adresser à un non connaisseur de toutes ces questions techniques. Evidemment, au sortir de cette visite, il me tarde de goûter les vins. La technologie fera-elle mieux ou moins bien que le savoir-faire des vignerons que je rencontre d’habitude ? Mais en posant la question, j’en sais déjà la sottise car en matière de vin comme en tout, comparaison n’est pas, sinon jamais, raison…

La dégustation
Elle se fait dans des conditions quasi princières, sur un vaste marbre blanc avec crachoirs intégrés et rincés en continu, dans la vaste salle climatisée… Le luxe, c’est ce qu’on vous disait !

Whispering Angel vin rosé AOC côtes-de-provence
grenache, rolle et cinsault

Il faut quand même bien tendre l’oreille pour entendre les anges vous murmurer quelque chose en dégustant ce rosé, mais votre serviteur est sans doute dur de la feuille. C’est un joli vin, pas donné quand même (17 euros), propre, sans défaut mais l’absence de défaut est-elle une qualité ? Le vin parle plus, il me semble du végétal, de sa technologie, que de son terroir, mais pourquoi pas ? On apprécie le côté assez droit et pas trop floral, tout en ayant comme une impression de « déjà vu » comme dirait nos amis étasuniens qui consomment la quasi-totalité de cette production.

Déesse Diane côte de provence 2013
syrah et mourvèdre

Pas vilain ce rouge… Séduisant comme un sous neuf. Assez finement élaboré et de belle densité. En fait, et c’est bien là tout l’intérêt et les limite de cette cuvée, on se demande où l’on est tant l’influence de la patte bordelaise est présente… Où est donc la garrigue et la magie du paysage ? Mais ne boudons pas notre plaisir : rien à redire sur cette quille assez classique et bien élevée (bravo au maître de chai) qui trouvera très facilement sa place sur votre table, sans faire de vague.

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Contact
Caves du château D’Esclans
4005 route de Callas
83920 La Motte en Provence
Tel :  04 94 60 40 40 / www.esclans.com

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Le questionnaire de mout de Christian Diani, sommelier, caviste du domaine

Un mot, donc, sur Christian Diani qui a donc rendu cette relation possible. Ce licencié en lettres modernes et ancien professeur de français a passé 10 ans de sa vie en Espagne. De retour en France, la passion pour le vin l’emporte sur celle de la littérature et c’est à la maison des vins aux Arcs sur Argens qu’il se forme puis travaille avant d’être embauché au Château d’Esclan ou il accueille amateurs chevelus, touristes égarés et vip en Porsche & Lamborghini pour leur faire découvrir les cuvées de la maison.

 

Le jour où vous avez décidé de faire ce métier ?
– Le jour… Difficile à dire mais c’est à la Maison des vins des Arcs-sur-Argens que ma décision s’est faite.

Votre premier souvenir professionnel ?
– L’inquiétude de bien expliquer et bien guider les visiteurs.

Votre première joie professionnelle ?
– Les compliments d’un client qui avait suivi mes conseils.

Qu’est-ce que c’est votre métier ?
– Faire goûter, faire découvrir, avoir une démarche hédoniste !

Qui vous a le plus appris ?
– La pratique, le temps et les échanges avec mes collègues, ici au château d’Esclan comme à la Maison des vins.

Votre plus belle réussite ?
– … Avoir quitté l’enseignement !

Ce qui vous plait le plus ?
– Faire plaisir aux gens et transmettre ma passion.

 Ce qui vous sort par les yeux ?
– L’inattention de certains qui n’écouteny pas et posent ensuite une question au sujet de ce que je viens tout juste d’expliquer. Les gens qui vous coupent la parole. La suffisance de certains, parfois…  « Les vins rouges de Provence sont dégeulasses » m’avait une fois lancé un visiteurs bordelais…

Les vraies difficultés du métier ?
– Voir que parfois, malgré beaucoup de temps et d’explication, le client n’a pas tout entendu. Voir compris… Puis le voir se tromper sur ses choix.

Et si c’était à refaire ?
– Pas d’hésitation, je recommence.

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