Jérôme Schilling, l’expression gastronomique du terroir sauternais

Jérôme Schilling Lalique
© 180°C - Photographie Emmanuel Laveran

Quand Jérôme Schilling a quelque chose en tête, il finit généralement par l’obtenir. Plaquer l’Alsace à 18 ans pour entrevoir d’autres horizons culinaires ? Check. Entrer chez Thierry Marx à l’époque où celui-ci croule sous les candidatures ? Check. Rafler 2 étoiles en trois mois avec Jean-George Klein à la Villa René Lalique ? Check aussi. Que reste-t-il à accomplir à ce cuisinier hors pair, étoilé en 2019, et désormais à la tête du restaurant Lalique, au Château Lafaurie-Peyraguey ? Bien plus qu’on ne pourrait le penser. Portrait d’un travailleur acharné, dont on n’a pas fini d’entendre parler.

Jérôme Schilling : une formation à bonne école
Au risque de renforcer les clichés, Jérôme Schilling doit d’abord son amour de la cuisine à sa grand-mère paternelle, excellente cuisinière, puis à sa mère, héritière de ce savoir-faire. Enfant, le jeune garçon se délectait des effluves matinales qui se dégageaient de la cuisine, piochant dans les casseroles, et s’inquiétant dès le midi de ce qui serait servi le soir. Élevé au sein d’une famille où le travail a toujours été une valeur-clé, Jérôme Schilling a très vite mis la main à la pâte, aidant sa mère au moment des repas, et participant à l’élaboration des gâteaux de Noël, affaire ô combien sérieuse dans le Grand Est. C’est donc tout naturellement qu’au moment de choisir son orientation, l’adolescent a pris sa décision : ce sera la cuisine, ou rien.

Jérôme Schilling Lalique
À gauche, Lafaurie Peyraguey vu des vignes. À droite, le chef bosse en cuisine – © 180°C – Photographie Emmanuel Laveran

Après avoir commencé non loin de chez lui, il peaufine son apprentissage chez Hubert Maetz, hotel restaurant en Alsace, à Rosheim. Il y apprend la rigueur, mais aussi une façon de travailler aujourd’hui disparue, quand chasseurs, pêcheurs, et cueilleurs de champignons venaient directement livrer le produit de leurs récoltes au restaurant.

Quand nous arrivions le dimanche matin, nous avions six sangliers par terre dans la chambre froide ! Martin Thalgott, l’un des derniers pêcheurs du Rhin, nous ramenait les silures et les anguilles encore vivantes… Ça n’existe plus ça, aujourd’hui, se remémore Jérôme Schilling.

Mais le jeune cuisinier pressent déjà que pour élargir son répertoire culinaire, il lui faudra quitter l’Alsace. Le départ ne sera pas facile, mais aura le mérite de lui ouvrir les portes du Moulin de Mougins, sur la Côte d’Azur, tenu par Roger Vergé, alors triplement étoilé. L’aspirant-chef y découvre des produits bien différents de ceux qu’il avait l’habitude de travailler jusque-là, et retrouve en même temps l’atmosphère familiale du restaurant d’Hubert Maetz, qu’il avait tant appréciée. Puis, c’est un passage chez Joël Robuchon à Monaco qui viendra consolider ses bases, avant le grand plongeon dans le bain effervescent de la cuisine moléculaire.

La découverte de la cuisine moléculaire
Nous sommes en 2008, Thierry Marx est alors courtisé de toutes parts et les CV s’empilent sur son bureau. Par l’entremise d’un ami, Jérôme Schilling, plutôt du genre déterminé, parvient à décrocher un entretien avec Jean-Luc Rocha, alors second de Thierry Marx à Cordeillan-Bages. En une heure, l’affaire est entendue : le jeune chef rejoindra les équipes avec sa femme sommelière dès février, après les quelques mois de fermeture hivernale. Le temps de meubler ces mois de transition, Jérôme Schilling fait un rapide retour dans sa région natale auprès de Jean-Yves Schillinger, qui ne le laissera pas indemne :

C’est quelqu’un d’extrêmement humain, dont la personnalité n’a rien à voir avec aucun des chefs avec qui j’ai pu travailler. Il m’a énormément donné.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et déjà vient le moment de reprendre la route du Sud, direction Cordeillan-Bages. Là, l’Alsacien découvre avec enthousiasme de nouvelles techniques et perfectionne son savoir-faire, sous l’égide de Jean-Luc Rocha. « A l’époque, chaque responsable de poste devait créer un nouveau plat chaque semaine, qui serait ensuite goûté par Thierry Marx, et servi en salle le dimanche, se rappelle Jérôme Schilling. Une fois, j’avais décidé de faire un foie gras fraise et rhubarbe, que j’avais cuit en différentes façons, et dressé comme un dessert. Je l’avais accompagné d’un pain d’épices bien moelleux. Le chef goûte et me dit : « le pain d’épices est bon, mais il faudrait m’en faire une mousse. Comme un blanc vapeur, mais chaud ». Je le regarde, un peu ahuri, et je lui demande comment on fait ça. Ce à quoi il me répond « à toi de trouver ! » Et le fait est que j’ai fini par trouver. C’est ça qui était très intéressant à vivre avec Thierry Marx, c’est qu’il nous poussait dans nos retranchements ». Une exigence qui pousse le jeune homme à se dépasser, et à repousser toujours plus loin les limites de la créativité.

Jérôme Schilling Lalique
À gauche, le blanc manger de chou fleur huîtres et foie gras sauce vodka beluga de Jérôme Schilling. À droite, un cabillaud nacré comme on en voit peu : le secret, une cuisson lente dans l’huile de pépins de raisin – À droite, cochon noir et maïs façon Jérôme Schilling. – © 180°C

De son passage chez Thierry Marx, Jérôme Schilling a conservé un goût certain pour les miracles de la chimie, dont il joue parfois pour twister des bases un peu trop classiques à son goût. Ainsi son moelleux chou-fleur, caviar et sauce vodka Beluga servi à Lafaurie-Peyraguey, est-il issu de ces années passées auprès du maître de la cuisine moléculaire.

« L’entrée au chou-fleur provient d’une technique que j’ai pu acquérir en étant chez Marx, mais je l’ai retravaillée à ma façon : c’est un siphon chaud, que je mets dans un cercle passé à l’azote, explique le chef. Résultat, quand le siphon entre au contact du cercle à -100°C, une petite gélification se crée sur le pourtour, ce qui va permettre de le démouler, tandis que l’intérieur reste très mousseux et aéré ».

Malgré une expérience très formatrice, après un an et demi à Cordeillan-Bages, l’Alsacien fait de nouveau ses valises. Son objectif ? Se perfectionner auprès d’un MOF, dans une ville où la gastronomie est reine : Lyon. A son arrivée, il apprend que Guy Lassausaie, dont il ne connaît que vaguement le nom, cherche un second. « J’ai passé un entretien, puis je suis revenu y dîner, et finalement, nous y sommes allés avec ma femme. Je suis resté à ses côtés sept ans », sourit Jérôme Schilling.

Et quelles années ! Quelques mois après son arrivée, le restaurant se voit récompensé d’une seconde étoile. C’est aussi à cette époque que le chef se prend de passion pour les concours. D’abord en participant au Trophée Henri Huck, qu’il remporte, puis en aidant son ami Jérôme Jaegle à préparer le Bocuse d’Or, et en s’inscrivant pour la première fois au concours du Meilleur Ouvrier de France, où il ira jusqu’en demi-finale. S’ensuivront des participations au Prix Culinaire International Taittinger, au Prosper Montagné, au Challenge Culinaire du Président de la République, où il terminera sur la deuxième marche du podium, avant de tenter de nouveau le MOF, où il s’arrête en finale. « Après tout ça, j’ai eu un peu envie de couper avec la restauration, souffle Jérôme Schilling. Nous avions réfléchi avec mon épouse à aller nous installer dans le Sud, pourquoi pas faire du traiteur, des prestations privées… » Mais le destin en décidera autrement.

L’entrée dans la Maison Lalique
Sollicité en 2015 pour ouvrir le nouveau restaurant de l’empire Lalique, à Wingen-sur-Moder, le chef alsacien triplement étoilé Jean-George Klein pense alors à Jérôme Schilling pour le seconder. Celui-ci commence par décliner, avant d’accepter finalement de le rejoindre. À une condition : échanger avec Silvio Denz, PDG de Lalique. Le coup de cœur est immédiat. « Silvio Denz nous a expliqué qu’il voulait faire renaitre la maison de René Lalique, et réécrire les pages de l’histoire. Il y avait vraiment cette préoccupation d’avoir une vieille bâtisse, avec une histoire, et d’en faire quelque chose, retrace Jérôme Schilling. Son implication et sa vision assez familiale de l’entreprise m’ont beaucoup touché ».

La suite de l’histoire est connue : au bout de trois mois, Jean-Georges Klein et Jérôme Schilling décrochent deux étoiles, faisant de la Villa René Lalique l’une des tables incontournables de la région. Mais ce dernier n’est pas du genre à s’endormir sur ses lauriers, et trois ans plus tard, il émet le souhait de voler de ses propres ailes. Inquiet pour son talent, Silvo Denz lui propose alors un nouveau projet : le Château Lafaurie-Peyraguey, qu’il vient d’acquérir, au cœur du terroir sauternais avec le projet d’en faire l’un des plus beaux hôtels du Sud-Ouest et comportant un restaurant gastronomique.

C’est ainsi qu’en octobre 2017, Jérôme Schilling débarque avec femme et enfant dans le Sauternais. Les quelques mois de battement avant l’ouverture, prévue en juin 2018, permettent au chef d’explorer à loisir ce territoire, qu’il connaît peu. Découverte de nouveaux producteurs, essais culinaires… Jérôme Schilling peaufine alors ce qui fera la ligne directrice de sa nouvelle carte : une gastronomie entre classicisme et modernité, appuyée sur les richesses du terroir sauternais. « Ce temps libre m’a permis de tester plein de choses.  J’ai par exemple découvert que le Sauternes, lorsqu’il est macéré avec la tanaisie, prend un goût de melon ! C’est incroyable ! » s’enthousiasme encore le chef.

La rencontre avec le terroir sauternais
Parmi ses belles rencontres, celle d’Autrefoie, producteurs de foie gras local, ou encore de la Maison Sturia, premier producteur français de caviar d’Aquitaine. Cette maison dont les bassins aquacoles sont situés à une quinzaine de kilomètres du domaine accueillent trois espèces d’esturgeons : le Baerii, l’Osciètre, et le Beluga. Chaque esturgeon est attentivement suivi de la naissance à la commercialisation, afin de produire des œufs les plus qualitatifs possible, en respectant au mieux le bien-être de l’animal. « Mon critère lorsque je choisis de travailler avec un producteur, c’est l’humain expose Jérôme Schilling. Le produit peut être magnifique, si le feeling ne passe pas, on ne collaborera pas ».

Jérôme Schilling Lalique
Les esturgeons qui produisent le caviar d’Aquitaine, élevés à 13km du restaurant de Jerome Schilling à Bommes
– © 180°C – Photographie Emmanuel Laveran

Avec deux menus à la carte, dont un végétarien, Jérôme Schilling s’est donné pour mission de transmettre par la gastronomie les sensations que procure un millésime de Sauternes : amuses-bouches rappelant les trois notes principales du Sauternes, entrée interprétée selon un Millésime particulier, condiment sous forme de Sauternes macéré à la fleur de sureau… Les clins d’œil à l’or liquide sont présents dans chacune des créations du chef, et viennent relever les produits locaux par un subtil jeu de textures et de saveurs. Une cuisine résolument moderne, comme un pont entre ses différentes expériences professionnelles. « C’est là qu’est la modernité pour moi, définit le chef.

C’est une association d’éléments qui, une fois dégustés ensemble, vont créer une harmonie et une émotion. C’est ce que j’essaie de faire aujourd’hui en travaillant autour des produits locaux et du Sauternes.

Mis en valeur par des arts de la table signé Lalique évoquant l’univers viticole (dont certaines pièces ont d’ailleurs été imaginées par le chef lui-même), les plats de Jérôme Schilling sont comme autant d’hommages au terroir environnant, alliances subtiles de créativité et de tradition.

Auréolé d’une étoile en 2019, Jérôme Schilling travaille désormais ardemment à l’obtention de la seconde. Une récompense qu’il estime devoir apporter à Silvio Denz, mais, aussi et surtout, à son équipe. « On loue toujours le chef, mais sans le soutien de l’équipe, on ne fait rien. Il y a certaines personnes aux côtés de qui je travaille depuis six ans, et je vous assure que ça n’a pas de prix ! » Continuer à avancer ensemble, pour, un jour peut-être, offrir à son équipe la deuxième étoile : challenge accepted pour Jérôme Schilling.

Jérôme Schilling, l’expression gastronomique du terroir sauternais

RESTAURANT LALIQUE – CHÂTEAU LAFAURIE PEYRAGUEY
Lieu-dit Peyraguey – 33210 BOMMES
info@lafauriepeyragueylalique.com // Tél : 05 24 22 80 11
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