À Étretat : de la ferme à la table, les pieds dans l’eau

Ils font pousser des fraises, des légumes rares, des fleurs comestibles, pêchent du poisson, élève des abeilles, fabrique de la crème et du beurre… Leur point commun, faire rayonner les richesses locales, repenser une Normandie entrepreneuse et audacieuse loin des slogans habituels qui la vendent comme un produit uniquement le temps d’une saison.

Ils ont chacun leur histoire et leur façon de raconter ce terroir qui les fait grandir et les inspire. Nous avions rencontré Gabin Bouguet, enfant de la région et chef cuisinier dans ses cuisines du Donjon Domaine Saint Clair à Etretat, cette fois-ci, il nous emmène en vadrouille à la rencontre de ses producteurs passionnés et de leurs produits d’exception qu’il met en valeur à la carte du restaurant.

Local is back
Gabin aime travailler en direct et en étroite collaboration avec les artisans et producteurs de sa région. “Cela me permet d’avoir des produits locaux frais quotidiennement, mais aussi de tisser des liens durables”. Le faire ressentir dans l’assiette est un but qu’il s’est fixé. Le “Farm to table” – comprenez “de la ferme à la table” – les pieds dans l’eau, le voilà le challenge. Dépoussiérer les codes du consommer local, pour créer une émotion dans l’assiette, mais aussi dans les esprits.

Tout commence au fond du jardin
Nous n’avions pas besoin d’aller bien loin. C’est au fond des jardins du domaine, entre le Cottage et le spa, que tôt ce matin nous avons rencontré Laurent, “Happy culteur” du Rucher des Authieux, qui est venu installer il y a quelques semaines, 4 ruches sur les hauteurs du potager de l’hôtel.
Laurent revêt sa tenue de cosmonaute des champs pour ouvrir les ruches et vérifier où en sont ces travailleuses de l’ombre. Enfumoir en main, il va duper les ouvrières en masquant leurs phéromones, grâce à cette petite fumée blanche et voluptueuse de foin. C’est avec une délicatesse surprenante que Laurent sort un à un les cadres du bout des doigts pour constater l’avancement des travaux. Parfait, elles ont bien travaillé, la première récolte sera faite dans une à deux semaines.

Ce que l’on donne à butiner aux abeilles, nous le retrouvons dans le miel.

Il faut dire que l’environnement dans lequel elles évoluent a été responsablement pensé. Pour faciliter le travail de ces butineuses et apporter du goût, il était important de placer les bonnes plantes et fleurs à proximité, et faire ainsi un premier pas vers la permaculture.
C’est grâce aux concepts combinés d’apiculture naturelle et du maraîchage bio, qui s’y prêtent parfaitement, que Gabin pourra ainsi utiliser en cuisine un peu de son propre miel. “Une petite récolte certes, mais par choix raisonné il est préférable de laisser aux abeilles de quoi passer l’hiver”.

L’éco-cocon de Gladys
Fleurs de sauge ananas, feuilles d’huîtres, ou encore fleur de bourrache… Les fleurs comestibles se sont installées progressivement dans nos assiettes, mais ce n’est pas seulement une question de déco. Gabin nous explique comment “elles donnent du goût et parfois même transforme le plat”, en apportant un raffinement qui allie beauté des formes et qualités gustatives inédites, voire surprenantes.

Pour trouver ces merveilles, nous allons donc à la rencontre de Gladys Heude, une maraîchère qui cultive en bio légumes, aromatiques et fleurs comestibles de saison, dans sa ferme Le champ des comestibles. Nous faisons dès nos premiers pas dans son jardin, la connaissance de l’un de ses ânes, Farceur, et de quelques-unes de ses chèvres qui sont en quelques sorte les employés de la maison, puisque Gladys travaille avec eux en éco-pâturage. “Cela améliore la qualité de vie de tout le monde et me permet d’entretenir de manière écologique et naturelle mes espaces, en effectuant un pâturage extensif” (faible densité d’animaux). Nous comprenons au fil de la discussion entre les serres, qui s’apparentent à un véritable cabinet des curiosités, tout le soin que Gladys apporte à sa sa terre, mais aussi aux autres.
En effet, c’est au détour d’une livraison au Donjon, que pelles et râteaux à la main, elle a prêté main forte à Gabin et sa brigade pour l’aménagement du potager en y plantant des légumes, des aromates, quelques fleurs comestibles et d’autres fleurs qui serviront, elles, aux butineuses de Laurent que nous avions découvertes ce matin.

Accord Terre-Mer
Halte suivante, la poissonnerie, évidemment. Nous nous dirigeons alors vers Fécamp, haut lieu de la pêche Normande historiquement. Entre la criée et le musée des terres-neuvas, on pénètre dans le “Marché aux poissons”, pour retrouver PhiPhi et son équipe. Saisie d’abord par l’irrésistible odeur du fumoir maison, on assiste en coulisses à un véritable défilé des trésors de la pêche du jour, pour que Gabin puisse faire sa sélection et construire sa carte composée à 100% de produits de la mer.

Alerte, il scrute les caisses qui défilent. “Regarde-moi cette lotte” lui glisse l’un des vendeurs. Ce jour-là, Gabin jettera plutôt son dévolu sur une bonne dizaine de maquereaux qu’il mettra aussitôt à sa carte.

D’habitude, c’est Philippe, discret mais pourtant toujours présent, qui, à toutes heures du jour ou parfois même de la nuit, livre tous les matins à Gabin ses richesses de l’océan. Cette fois, Gabin en profite, et l’on termine le show sur un coin de table entre les caisses, par une demi-douzaine d’huîtres normande, juste pour le plaisir.

Association inédites
Pour sa prochaine recette de homard à la fraise, on reprend la route, direction la Ferme de la Carrhée pour une balade entre les fraisiers. Accueillis par la petite famille de Laurent et Karene, c’est au travers des 3 serres, avec les enfants et le chien, que nous déambulons entre les 4 variétés de fraises tandis qu’ils nous racontent leur histoire. C’est un pari fou qu’ils ont tenté il y a un peu moins de 2 ans, par envie, mais aussi nécessité de se détacher de l’industrie laitière intense et capricieuse.  “C’était aussi pour continuer à voir nos enfants grandir”. Le ratio entre travail fourni, bénéfices et vie privée n’était pas le bon. C’est donc sur un coup de tête qu’en quelques jours (et nuits), ils montent leurs premières serres, en appelant les amis des villages voisins à la rescousse. Après un démarrage difficile, c’est à force d’efforts et de persévérance qu’ils ont trouvé comment faire pousser leurs fraises de la bonne façon, en limitant au maximum leur empreinte.

À Étretat : de la ferme à la table, les pieds dans l'eau
© Antidote Factory – Photographie Aude Bocage & Thomas Texier

La crème de la crème
17h, dernier arrêt. Dans quelques minutes la traite des vaches laitières de Baptiste Lemonnier va commencer. Direction sa petite “Ferme du bois des saules” à quelques kilomètres de là, qui compte une soixantaine de dignes héritières normandes, réputées  pour la qualité de leur lait. Son père a commencé la crème il y a 40 ans, aujourd’hui Baptiste a pris le relais avec un objectif, “Cultiver le goût. Celui d’antan, tout en cultivant plus responsablement”.

En effet, il apporte un soin particulier à l’alimentation de ses vaches qu’il a voulu locale, autonome et responsable. Exit les aliments composés ou autres céréales, Baptiste sait que pour produire la crème de la crème, il va falloir mettre les bouchées double pour proposer à ses belles une alimentation qui l’est tout autant. Il a commencé par cultiver lui-même, sur ses parcelles, son propre maïs. Puis il a poussé l’exercice un peu plus loin, en ne cultivant aujourd’hui que du foin et des betteraves.

Une combinaison gagnante pour tout le monde, puisque sa crème crue d’exception, après avoir gagné deux médailles au salon de l’agriculture, se retrouve dans les cuisine des chefs étoilés de la région, tout comme au Donjon.

Et puis l’incertitude
Chef engagé en quête d’une gastronomie responsable, ce sont le partage, l’association des savoir-faire, mais aussi l’entraide, qui guident aujourd’hui plus que jamais Gabin dans sa cuisine.

C’est ensemble que l’on va plus vite, c’est ensemble que l’on va plus loin.

Ces mots qui résonnent au Donjon depuis déjà bien longtemps, ont pris tous leurs sens face à cette période chahutée par la pandémie.

Le bilan est lourd, chacun y est allé de son histoire face à cette crise sanitaire : fermeture des restaurants, des marchés, incapacité à trouver du personnel, annulation des commandes… Il a donc fallu réorganiser les filières, s’adapter et se serrer les coudes. Et finalement ce n’était pas en vain, puisque ce sont les Français qui, d’eux-mêmes, ont préféré se tourner vers les circuits-courts pour se rassurer en consommant local, frais et de saison, tout en boudant ainsi les intermédiaires. Et puis c’était aussi l’occasion de privilégier les rapports humains, renouer avec son attachement au monde rural, et palier à cette méconnaissance des métiers de la terre. On sent que le confinement a donné aux gens l’occasion de réfléchir à leurs pratiques alimentaires. La prise de conscience sera-t-elle durable ? C’est en tous cas une volonté forte au Donjon. Son objectif : “Être une vitrine de l’agriculture de la région et du travail bien fait”.

L’aventure démarrée depuis plusieurs années, ne fait que commencer. On aurait tendance à croire que le Donjon s’ennuie, perché seul sur sa falaise. Et pourtant, seul, il ne l’est pas. Bien plus qu’un hôtel restaurant, le Donjon est devenu un écocentre, regroupant passionnés et explorateurs, experts et novices, ruraux et citadins, permettant de repenser et d’inventer tous ensemble le monde d’après, celui qui repose sur l’entraide et le respect de la terre.

Voici une bien belle image que celle d’un acteur de l’hôtellerie de luxe, main dans la main avec le producteur du coin. Plus qu’une volonté de repenser le modèle économique et social, c’est par ce genre d’initiatives bienveillantes, raisonnées et durables, que nos campagnes et notre gastronomie rayonneront.

Texte Aude Bocage – Photographies Aude Bocage & Thomas Texier / Antidote Factory
Instagram : @antidote.factory

À Étretat : de la ferme à la table, les pieds dans l'eau

Le Donjon Domaine Saint Clair
Chemin de Saint-Clair 76790 Etretat
Tel : 02 35 27 08 23
Contact : Julie Verrecchia /  mail : pr@hoteletretat.com
https://www.hoteletretat.com/fr/

 

Producteurs : 

Le Rucher des authieux 
Contact : Laurent Campbell
Adresse: 5 route de Rugles 27330 BOIS-ANZERAY
Tél : 07.89.03.41.68  / E-mail : lerucherdesauthieux@orange.fr
Site : https://www.lerucherdesauthieux.fr/
Ferme de La carhée
Contact : Laurent FONTAINE
Adresse : 40 route de Gonneville 76280 CRIQUETOT L’ESNEVAL
Tél. 02.27.30.01.96 / Email : aupanierlaukal@orange.fr
Site : https://www.monpanier76.fr/producteur-local/ferme-de-la-carrhee-au-panier-laukal.html
Le champs des comestibles
Contact : Gladys BAIDEHEN
Adresses : 32 rue de Briquemare Cauville-Sur Mer, Haute-Normandie, France
Tél. 06 17 30 24 84 / Email : lechampdescomestibles@gmail.com
Site : https://www.facebook.com/lechampdescomestibles/
Le marché au Poissons
Contact : Philippe Lecanu
Adresse : rue du commandant Riondel 76400 Fécamp
Tel : 02.35.28.93.36  / https://lemarcheauxpoissons.fr/#home
La ferme du bois des saules
Contact : Baptiste Lemonnier
Adresses : 944 Route du bois des saules 76280 Fongueusemare
Tél : 06 21 16 04 54 /
Site : https://www.facebook.com/pages/category/Agricultural-Cooperative/La-cr%C3%A8me-crue-de-la-ferme-du-bois-des-saules-1643230692645698/

 

 

 

Plus d'articles de Aude Bocage et Thomas Texier

Gabin Bouguet : local sinon rien !

C’est ce que l’on appelle un enfant du pays. La famille a...
Read More